Nos vieux…

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Le  premier ministre a eu raison de le rappeler, le monde de demain n’aura pas grand-chose à voir avec celui d’hier. Peut-on seulement évoquer un déconfinement ? La date n’en n’est pas certaine et il s’apparentera à un processus progressif et douloureux : au passage d’un état de léthargie général à celui d’un retour lent à une vie sociale réduite. Qui en doutait d’ailleurs ? Les Français ont montré depuis le début de cette crise qu’ils étaient capables de maturité et de civisme. Pour une bonne partie d’entre eux, ils ont pris les risques courageusement que leur rôle social leur commandait, les autres ont suivi les consignes  imposées avec discipline. Il reste toujours quelques irréductibles, inconscients, asociaux en fait. Une petite minorité.

Si nous ne savons rien de l’avenir sauf qu’il sera tout sauf facile et que le virus reste un mystère impénétrable, nous avons déjà une idée sur les leçons simples, universelles que nous pouvons tirer de cette épreuve. La première : nos désastreuses relations avec la dictature chinoise sur lesquelles nous avons fermé les yeux trop longtemps. On le voit ici, dans de nombreux points de vue, cette vérité fait son chemin. Mais elle n’est pas la seule révélation de la terrible pandémie.

Ainsi nous mesurons désormais le sort que nous avons réservé à nos aînés. Aux « vieux » comme disait Jacques Brel, prémonitoire. Nous nous targuons d’un progrès des sciences et des techniques qui a permis une progression régulière de la durée de la vie qui atteignait 82 ans 57 en 2017 contre 79 ans 06 en 2000 et 69 ans 87 en 1960. Soit une progression de quasi 13 ans de durée de vie en l’espace de 50 ans pour un citoyen français. Une courbe globale à la hausse, inégalée dans l’histoire qui masque évidemment de nombreuses disparités, sociales notamment, supérieure dans son ascension à celle de l’Allemagne ou des Etats Unis. « L’espérance de vie a presque doublé au cours du vingtième siècle » selon l’Institut National des Etudes Démographiques qui ajoute : « La hausse de l’espérance de vie se poursuit grâce aux progrès dans la lutte contre les maladies cardio-vasculaires et les cancers ». C’est un progrès formidable, qui a bouleversé le rapport que nous avons avec les personnes âgées.

Qu’avons-nous fait de ces avancées ? La structure familiale a longtemps été composée de plusieurs générations cohabitant sous un même toit. C’était une sorte d’héritage culturel d’une France rurale qui voulait que « les parents meurent dans leur lit ». Les exigences du monde moderne, la structure urbaine de l’habitat, l’allongement même de la durée de la vie –avec la généralisation d’un quatrième âge- et j’ajouterai la fracture numérique depuis le début du XXIème siècle ont favorisé l’accueil de ces personnes dans des structures spécialisées les Ephad, pour 700 000 d’entre elles. Ainsi les plus jeunes pouvaient se décharger d’un poids devenus trop lourd pour leurs épaules, dans un univers où la concurrence entre individus occupe le plus clair des énergies.

Nous nous rendons compte brusquement avec les ravages du coronavrirus de l’ampleur de cette nouvelle coupure dans les relations entre les générations. Nous mesurons la fragilité de cet arrangement. La détresse ressentie par cette population d’êtres humains et aussi le poids de notre culpabilité à leur endroit. Il y a encore quelques jours, dans le tragique bilan quotidien des décès du Covid19 les morts en Ephad n’étaient pas comptabilisés ; comme s’ils n’existaient pas. Jusqu’à la récente conférence de presse d’Edouard Philippe, le confinement des Ephad était total. Pas de visites, ni famille, ni amis. Le désespoir était alors profond chez ces personnes désireuses d’un contact même réduit et on a noté plusieurs tentatives de suicides.

Dans ces établissements le bilan quantitatif est épouvantable : 7896 décès ce mardi.  « Le taux de mortalité dans les Ehpad est très élevé dans les deux zones les plus affectées par le virus, l’Île-de-France et l’Alsace, mais dans certaines, comme la Nouvelle-Aquitaine, il y a très peu de cas de Covid-19« , a précisé François Beaudonnet au 20 Heures de France 2. Dans le Haut-Rhin, on dénombre 518 morts dans les Ehpad : « C’est 230% de plus qu’au mois de mars 2019. » Le bilan global est désormais plus lourd que celui dû à la canicule de 2003.

Il ne s’agit pas de faire la leçon à quiconque ni de minimiser le dévouement le plus souvent remarquable du personnel de ces établissements, ni même leur confort. Mais happés par le tourbillon de la modernité ;  plongés dans l’obsession de la vitesse ; fascinés par la possession d’objets souvent inutiles savons nous entendre la souffrance atroce de nos vieux ?

Comme le dit le philosophe Francis Wolff, évoquant la crise que nous vivons dans une récente tribune de Libération*: « il n’y a pas d’alternative à l’humanisme ». Avions-nous cessé de porter un regard humaniste sur nos anciens ? Sommes-nous prêts à reprendre ce chemin ?

Pierre-Michel Vidal

Image: « Le cri » d’Edward Munch (Nasjonalgalleriet)

* https://www.liberation.fr/debats/2020/04/20/il-n-y-a-pas-d-alternative-a-l-humanisme_1785827

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Un commentaire

  • Je ne suis pas certain que l’humanisme soit vraiment compatible avec le réalisme et autre souverainisme.

    A noter que M. Wolf indique que la Chine a choisi « la voie humaniste » pour contenir la pandémie du Coronavirus et non pas la voie « la voie réaliste ».
    Je comprends que l’intégration de la Chine dans la mondialisation a été la raison principale de ce choix.
    La mondialisation devrait également contraindre les Etats à organiser le déconfinement de manière coordonnée.
    La mondialisation pourrait également être le vecteur d’un monde plus solidaire.
    Vers un retour à une « mondialisation heureuse » en quelque sorte.

    D’un autre côté, Mr Onfray poursuit sa croisade contre l’idéologie de Maastricht qui serait à la tête de l’État français depuis une trentaine d’années.
    Il souhaite rassembler les «souverainistes » autour d’une plateforme/revue « FRONT POPULAIRE » pour rebâtir le monde et penser les « jours d’après ».
    Vers un retour au réalisme politique ou au « temps béni des colonies » en quelque sorte.

    La plateforme/revue « Front Populaire » serait ouverte, entre autre, aux gilets jaunes qui ont beaucoup turbiné le trafic sur les ronds-points et autres assimilés.
    Par contre elle serait fermée au RN (Mme Le Pen), à Debout la France (M. Dupont-Aignan) et à F.I (M. Mélenchon).
    Comme toutefois ceux-ci représentent 40% environ de l’électorat, j’en déduis que l’objectif de « Front Populaire » sera de capter au moins 10% de l’électorat.
    Vers un scénario à l’italienne en quelque sorte.