Les « Dérapages » d’Eric Cantona
Sidérés par l’ampleur des drames que génère un virus toujours mal connu, découragé par les points de vue contradictoires des scientifiques, lassés des mensonges successifs de notre classe politique -les élections, les masques, les tests et maintenant ce déconfinement qui n’en est pas un-, nous nous désintéressons de plus en plus de la vie politique et sociale. C’est un réflexe de survie… Une hygiène de vie de confinés. Ainsi nous parlons aux voisins quand ils font du jardinage et répondons aux amis au téléphone. Nos propos banals sur la météo et sur les manières respectives de faire son pain nous reposent comme un retour à la vraie vie… Que faire d’autre ? … Comme beaucoup de Français nous sommes devenus aussi des accrocs de la télé.
Les programmes dans leur ensemble, et notamment ceux du Service Public -les épisodes successifs des « Gendarmes », de la « Septième compagnie », « La soupe aux choux », etc.-, sont lamentables et contribuent -sous le prétexte de distraire- à nous prendre pour des enfants que nous ne sommes plus. En réponse à cette médiocrité médiatique, les ventes de Netflix ont bondi depuis le début de cette période de confinement. Ceci dit, en cherchant bien, sur quelques chaînes, comme Arte ou LCP, on trouve des pépites qui valent la peine de se coucher tard –surtout que l’on n’a rien à faire d’important le lendemain matin.
Il en est ainsi de la série d’Arte : « Dérapages » en accès libre sur le site de la chaîne jusqu’au 30 avril et diffusée les 23 et 30 avril. Une série en six épisodes écrite et dialoguée par l’écrivain Pierre Lemaître (ancien Goncourt) d’après son roman « Cadres noirs », réalisée par Ziad Doueiri (« Baron Noir ») avec pour héros principal Eric Cantona, l’ex-footballeur iconique.
Réalisée de manière très efficace dans le style des grands classiques du cinéma noir français (Jean Pierre Melville and co.), la série repose sur une histoire haletante, inscrite dans un décor tragique, animée par des dialogues plus vrais que nature. Eric Cantona incarne, de manière très convaincante, un quinquagénaire brutal mais généreux, perdant magnifique mais malin aussi. Un cadre au chômage, réduit aux petits boulots pour survivre et se payer ce petit appart de la banlieue parisienne pour lequel il est prêt à tout. Sa famille, sa femme et ses deux filles, justifie à ses yeux ses fameux « dérapages » qui sont, comme on le verra, parfois sous contrôle.
Le personnage de Cantona est une sorte de prototype de la victime du monde impitoyable des multinationales prêtes à tout pour protéger leurs intérêts et qu’il est bien difficile de berner, même avec beaucoup d’astuce. En même temps, on voit bien dans l’histoire que personne n’est vraiment noir ou blanc, que le monde n’est pas fait du même bois et que la colère n’est jamais bonne conseillère. Il faut savoir s’arrêter à temps ; se maîtriser et, parfois, accepter l’injustice et l’humiliation car le remède peut s’avérer pire que le mal.
Le héros de « Dérapages » n’a rien de lumineux, sa rage est souvent condamnable et les dégâts qu’il inflige à sa famille, à ses amis sont irréparables. Pour autant cela signifie-t-il qu’il faille accepter l’inacceptable ? Le mépris, l’arrogance, le déclassement social et la violence instaurée comme système de management.
Nous avons du temps pour réfléchir à tout cela et cette fiction devrait nous inspirer pour construire ce fameux monde d’après. La télévision y deviendrait un outil de questionnement de la réalité en même temps qu’un moyen d’évasion, comme ces « Dérapages » qui réunissent ces deux fonctions.
Pierre-Michel Vidal
PS. https://www.arte.tv/fr/videos/RC-016399/derapages/
Photo : © Stephanie Branchu
Un petit détour de la Théorie de Cicéron (106 Av JC -43 Av JC)
1- Le pauvre: Travaille,
2- Le riche: Exploite le 1,
3- Le soldat: Défend les deux,
4- Le contribuable: Paye pour les trois,
5- Le vagabond: Se repose sur les quatre,
6- Le poivrot: Boit pour les cinq,
7- Le banquier: Escroque les six,
8- L’avocat: Trompe les sept,
9- Le médecin: Tue les huit,
10-Le croquemort: Enterre les neuf,
11-Et le politique: Vit des dix.