Bataille des Ardennes seconde partie (suite et fin)

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Le Figaro-Histoire n° 49 : La plus grande défaite de l’histoire de France. « 10 Mai 1940. Le groupe d’armées du Général von Runstadt, fort de 44 divisions et de trois flottes aériennes, pénètre à travers les Ardennes belges et luxembourgeoises, réputées infranchissables ». Ils les ont tellement bien franchies que le 13 Mai ils franchissaient la Meuse et attaquaient Sedan. Les choses auraient-elles pu se passer autrement ? On l’ imagine ici.

10 et 11 mai 1940.

Le général Corap commandant la 9° armée à l’Ouest de la ligne Maginot est tenu au courant de la position des quatre colonnes allemandes qui passent les frontières belges et luxembourgeoises. Il a décidé de créer une ligne grossièrement Est-Ouest de 40 KM de long avec un char B1 bis * tous les 100 mètres. Chaque char est une petite forteresse avec des mitrailleurs autour de lui et de l’artillerie lourde derrière. Il aurait préféré qu’il n’y ai qu’une seule colonne allemande, il ne peux attaquer que celle qui est le plus au Sud, celle du général List, dont il ignore le nom. Il a eu l’idée de commencer l’attaque, la nuit par un tir synchrone de l’ensemble des chars qui déclencherai les tirs de l’artillerie lourde.

11 Mai 1940 à 21 heures dans les Ardennes belges.

François est commandant d’un char B1 bis à l’affût, entouré de sapins, mais à la vue dégagée par un petit sentier. Il a observé ses 6 mitrailleurs et servants se positionner devant lui et il sait que des canons d’artillerie lourde sont derrière lui. Tous les deux sont en attente de son tir à lui. Il a reçu instruction d’ouvrir le feu à 21 heures trente précises, en synchronisme parfait avec les 369 autres B1 bis en attente comme lui. Il ressent une jouissance venue du fond des ages, celle du chasseur qui observe sa proie, du guerrier caché de son ennemie. Il respire profondément, il est reposé, il n’a eu à faire que 20 KM pour aller de son pré-positionnement à son emplacement actuel. Dans la forêt, silence total, ni les lynx, ni les cerfs ni les sangliers ne bougent une griffe ou un sabot, ils sentent que quelque chose de terrible va arriver.

Le général List est concentré sur sa carte d’ état-major, une lampe de poche dans sa main gauche, il ne prête pas attention à son chien, un berger allemand, qui grogne sourdement.

La plupart de leurs camarades dorment, déjà, fatigués par deux journées harassantes mais Hans, Karl, Paul et Petrus se relaxent en trempant dans de la senf**** des bouts de saucisses. la veille ils sont partis à 4 heures du matin et toute la journée ils sont passés par des creux et des bosses. Ils n’ont pas reçu de consignes de discrétion particulières : ils allument leurs lampes-torches, ils parlent fort.

Tirs synchrones.

A 21 heures 30 exactement, 369 chars français tirent sur le colonne allemande. Comme les chars sont espacés de 100 mètres le bruit de chaque char est espacé d’environ un tiers de seconde et par fusion des ondes sonores un bruit continu d’environ 2 minutes est perçu, il est ininterprétable. Par contre ce que voient les yeux est immédiatement interprété c’ est un char déchenillé, c’est un char en flammes. Atteintes aléatoires : dans la colonne française des chars de face de 2 mètres de large, avec un tout les 100 mètres on a une chance sur 50 d’en toucher un en tirant au hasard. Les panzers par contre sont de flanc de 5 mètre avec un tous les 10 mètres, en tirant au hasard on a une chance sur deux d’en atteindre un.

Quelques minutes après les tirs synchrones des chars B1 bis, l’artillerie lourde située en arrière commence à bombarder, en tirs paraboliques les positions allemandes.

Les mitrailleurs français ouvrent aussi le feu au hasard.

Dans la colonne du général List l’affolement est à son comble. Passé les deux minutes de sidération, les ordre fusent : retour dans les chars, installation des

mitrailleuses, envoie de motards vers l’origine des tirs (aucun motard ne reviendra, ils sont fauchés par les mitrailleuses françaises).

Trois minutes après son premier tir, François fait pivoter son canon de 6° car à 100 mètres, par la valeur de sinus (6°) la distance est de 10 mètres, ordre de grandeur de l’espacement des panzers. Il a pour instruction de « tirer dans le tas » tous les 6°.

Quinze minutes après les tirs dans le tas, les Panzers contre attaquent. Les Commandants de char debout vont vite refermer leurs tourelles, à cause des tirs des mitrailleurs français. Dans ce combat rapproché les coups au but des Français font exploser le Panzer, tandis qu’un coup au but des Allemands ne perce pas le blindage de 60 mm des chars B1 bis. L’équipage français est seulement choqué 2 minutes puis se reprend.

A 22 heures 30 la moitié de la colonne List est hors de combat. Le Général List appelle Guderian : « Ma colonne est violemment attaquée par le sud, peux tu venir m’aider ? » ; Guderian : « J’entends le tintamare, mais je pensais que vous étiez capables de vous défendre ». Le Général List : « Je ne sais pas de quel métal sont faits leurs chars, mais quand nous les atteignons de plein fouet, cela ne fait que ralentir leur cadence de tir ». Guderian : « Je laisse la décision à von Rundstedt». Guderian à von Rundstedt : « Vous entendez ces tirs, dois-je me porter au secours de List ? ». von Rundstedt : « naturlich, schnell !, schnell ! »

Les chars les plus avancés de Guderian se trouvent près du village d’Orgen, à 20 KM de la colonne de List. La colonne Guderian se met en marche à 23 heures. Elle prend des petites routes tortueuses, puis emprunte la nationale 85. Elle arrive à 30 minutes du matin du troisième jour. Les commandants de char ont mis les phares pour progresser. En arrivant près de la zone de combat ce qu’ils voient est épouvantable (de leur point de vue évidemment): un véritable cimetière de chars. De plus, la forêt Rulle a été mise en feu par un tir au but français sur un camion citerne d’ essence. La route empruntée par Guderian se trouve, par hasard, orthogonale à la ligne des chars lourds du Général Corap. Environ 100 chars français cachés dans l’ombre propice se mettent à tirer à la cadence maximale, soit toutes les trois minutes, en direction des phares des Panzers. A une heure du matin les ¾ de la colonne Guderian sont détruits. Du coté français trois chars B1 bis ont été touchés, non détruits, grâce à leur super blindage. Guderian appelle von Rundstedt « Faut-il faire venir Reinhardt et Rommel ? ». von Rundstedt : « Naturlich, NEIN ! Il faut garder des troupes fraîches pour attaquer Sedan ».(c’est la marque des grands chefs de pouvoir se contredire à quelques moments d’intervalle).

Les tirs français cessent, le silence retombe sur la forêt de Ardennes.

Flash back

Durant les journées du 3 au 8 Mai le Colonel de Gaulle, dans une voiture Renault, avec un Lieutenant et ayant dans sa sacoche un ordre de mission du généralissime et une lettre de soutien des généraux Corap et Huntziger, fait le tour des régiments situés à l’ Ouest et même à l’ Est de la ligne Maginot. Il demande à tous les chefs de corps d’envoyer les chars légers dont ils disposent à Fumay, dans le doigt de Givet. Un chef de corps à de Gaulle : « Mais nous n’avons que 35 chars Renault FT qui datent de la guerre de 14 ! » ; de Gaulle : « Je les veux, les choses étant ce qu’elles sont, mon idée est de submerger leurs Panzers par le nombre de nos chars, pour compenser notre cadence de tir inférieure ».

Matin du 12 Mai, 4 heures

Le Colonel de Gaulle et le Général Reinhardt vont précipiter leurs forces l’une contre l’autre avec des motivations différentes : de Gaulle veut attaquer de bonne heure pour que le Général Rommel n’aie pas le temps de joindre ses forces à celles de Reinhardt. lequel est guidé par la fureur que lui cause la destruction nocturne des forces de List et de Guderian.

Dans un territoire de 40 KM sur 40 KM on compte 250 Panzers d’un côté, 1025 chars légers Renault R35, Hotchkiss H35, Renault FT récupérés à droite et à gauche. Les français ont clairement l’avantage du nombre. Ils ont aussi celui du pre-positionnement. De Gaulle a massé l’essentiel de ses chars sur la Nationale 95 entre Beaureing au Nord et Bièvre au Sud. Il a aussi dispersé des petits groupes de dix chars dans les villages.

A quatre heures le chant des coqs est couvert par le grincement des chenilles des Panzers et des Renault.

Nul ne sait qui a tiré le premier, mais quand un Panzer en mouvement se trouve face à un Renault de la colonne principale, ce dernier est aussitôt aidé par deux ou trois chars cachés dans les villages. D’autre part, pour se rabattre sur la colonne de Rommel, de Gaulle a imprimé un mouvement de rotation à l’essentiel de sa colonne, les chars situés au Nord avancent à la vitesse maximum (25 KM/heure), les chars du centre à demi vitesse, les chars du Sud attendent. Vers 6 heures du matin la supériorité numérique et les capacités manoeuvrières ont assurés la suprématie des français. Les 250 Panzers de Reinhardt sont soit fumants soit déchenillés.

A 6 heures du matin la situation est la suivante :

La colonne de Rommel, mise en mouvement dès 4 heures, arrive dans le quadrilatère des combats.

Le ciel des Ardennes s’est peuplé en couches stratifiées.

Tout en haut, à 4000 mètres, patrouillent les avions d’observation d’Antoine de Saint Exupéry.

En dessous, à 3000 mètres les avions d’observation allemands

A 2000 mètres, 600 chasseurs français monoplace rapides, Morane-Saulnier 406, Bloch MB 151 et Dewoitine 520.

A 1000 mètres il y a comme un vol de Stukas hors du charnier natal.

La 9° armée du Général Corap et la 2° armée de Huntziger ont passés la frontière belge et avancent de l’ infanterie et des batteries anti-aeriennes. Elles ont l’intention (ferme) de stabiliser les terrains conquis par les chars de de Gaulle et installer un compact réseau de canons anti-aériens.

A 10 heures l’intensité du combat est à son comble. Les terribles Stukas détruisent un bon nombre de chars français mais ils sont bien obligés de donner la priorité à leur défense contre les Morane-Saulnier qui les attaquent furieusement *****. Quand un Stuka bombarde en piqué un char français il doit faire un virage sur l’aile ultra serré pour éviter les tirs des troupes de Corap.

A 16 heures la 9° armée de Corap et la 2° armée de Huntziger occupent le terrain jusqu’ au niveau du doigt de Givet. L’ensemble des 44 divisions de von Rundstadt est détruit. Du côté français il y a de la casse : près de 600 chars Renault ont été détruits, 200 pilotes d’avion ont péri. La victoire française est incontestable, la percée allemande, un échec absolu.

Epilogue

Suite à ce combat de géants la guerre prend un cours nouveau. Les Anglais ne rembarquent pas à Dunkerque. Mussolini renonce à déclarer la guerre à la France. Les russes envahissent la deuxième moitié de la Pologne et se positionnent sur la frontière allemande. Churchill envoie un message de félicitations à de Gaulle.

Une deuxième « drôle de guerre » s’installe, durant laquelle l’industrie de guerre française tourne à plein régime et, en particulier, fabrique 600 avions de combat par mois ce qui équilibre ses forces.

Que s’ est-il passé après cette deuxième drôle de guerre ? on ne le saura jamais.

** Charles de Gaulle a été promu Général le 1 Juin 1940

*** Weygand a remplacé Gamelin, comme généralissime le 19 Mai 1940

**** la senf, moutarde allemande

***** L’aviation française a été plus faible, mais elle n’a pas été nulle face à l’aviation allemande. En effet, plus de 1000 avions allemands furent détruits par les Français entre 1939 et 1940, tandis que 200 pilotes français périrent au cours de leur mission.

Référence : Le Figaro Histoire numéro 49 : 1940, la plus grande défaite française de l’histoire de France.

Le 16 juin 2020

Jean-François de Lagausie

* Le char B1 bis : produit en 369 exemplaires
équipage  4 hommes
blindage 60 mm
armement : 1 canon de 75 mm
                    1 canon en tourelle de 45 mm
                     2 mitrailleuses
vitesse tout terrain : 21 KM/heure
Il est mieux armé et plus blindé que le Panzer de 1940 mais il est plus lent »

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3 commentaires

  • de lagausie jean-françois

    je rajoute une référence, non imaginaire (!): la bataille de Stonne décrite par Dominique Lormier:
    « Cette bataille, peu connue du grand public s’est déroulée du 14 au 25 Mai 1940. Elle vaut par l’emploi intelligent coté français des chars associés à l’infanterie et à l’artillerie……….
    Elle met à mal l’idée reçue de la supériorité matérielle de l’armée allemande. Le char B1 bis s’avère, en effet, supérieur en plusieurs points au Panzer, blindage plus épais, armement sans équivalent ». Le village de Stonne, dans les Ardennes française, a changé de main 17 fois ce qui prouve le quasi équilibre des forces.

  • De Gaulle a été pour la première fois le rebelle décrit par la suite. Il a fondé la doctrine de la guerre de mouvement par l’usage des chars de combat. Jusqu’alors la théorie militaire reposait sur une guerre statique, une guerre de front. La ligne Maginot en était la preuve.

  • Article très intéressant.