Un avocat, ministre de la justice, inquiétudes ou espoirs ?
Un avocat pénaliste de renom , Éric DUPOND-MORETTI, ministre de la justice, une nomination inquiétante pour les uns, porteuse d’espoirs pour d’autres.
A peine connue, sa désignation à la chancellerie, a provoqué des vagues de commentaires.
Du fait qu’il a obtenu des dizaines d’acquittements en cour d’assises et assuré la défense de terroristes et d’hommes politiques, il ne peut jouir de la sympathie de ceux qui voudraient une superposition absolue des décisions de justice et de la morale universelle. On l’imagine déjà vidant les prisons ou réduisant le taux des sanctions pénales.
Mais, d’un autre côté , pour les déçus de l’œuvre judiciaire, reprochant à leurs juges de ne pas les avoir entendus, l’arrivée place Vendôme d’un homme qui s’est répandu en attaques verbales contre certains magistrats constitue une espèce de revanche.
Ces deux postures sont-elles raisonnables ?
Devenu ministre de la justice, l’avocat est dépouillé de sa robe. Il exercera sa mission sous l’œil souverain du parlement seul maître des lois.
Devenu ministre, il sera aussi le protecteur naturel de l’autorité judiciaire.
Alors que peut-on attendre de EDM ?
L’homme a l’avantage de connaître le fonctionnement de la justice de l’intérieur. Ses états d’âme, ses options philosophiques, ses croyances ne pourront pas, ne devront pas lui servir de boussole.
Il aura par contre la possibilité de remédier à ce que les professionnels (avocats mais aussi magistrats) dénoncent régulièrement.
Ainsi, en va-t-il de l’indépendance du parquet face au pouvoir exécutif qui lui fixe la ligne de route de la politique pénale du gouvernement. Le nouveau ministre acceptera-t-il de renoncer à cet usage contraire la séparation des pouvoirs ?
Ainsi, encore de la possibilité pour les magistrats d’exercer alternativement les fonctions de parquetier et de juge du siège. Deux concours séparés ou des choix d’origine permettraient d’en finir avec un système dont les avocats connaissent mieux que personne les inconvénients.
Peut-être aussi, la responsabilité des magistrats qui est une revendication de nombreux justiciables face à l’ignorance délibérée par leurs juges des termes clairs d’un texte ou ce qui pourrait s’apparenter à un abus de pouvoirs.
Le nouveau ministre devrait être celui des réformes du fonctionnement de l’institution, des réformes techniques.
Donc, ni inquiétudes, ni espoirs.
Un fait est sûr. La nomination d’EDM est celle qui provoque le plus de commentaires et pour cause. C’est une surprise puisque l’homme n’a jamais exercé de mandat politique.
En confiant le ministère de la justice, qui est la plus grande vertu, à un avocat controversé, le président de la république a bien évidemment eu un objectif, mais lequel ? Celui de faire oublier, par des réformes qui ne coûteraient pas cher, la pauvreté d’un budget qui est seul à même d’améliorer une gestion humaine des tribunaux ?
Pierre ESPOSITO
Ancien bâtonnier du barreau de Pau
Tout dépendra de l’intelligence de l’homme. Il peut nous surprendre.
Dupond-Moretti ne plaît pas à priori parce que, comme Castex ou Bachelot, ce n’est pas une personnalité du sérail. Il a un parcours inattendu et il est arrivé par des voies inhabituelles. Il contrarie le milieu restreint des politiciens professionnels qui voient en lui un concurrent dangereux -à juste titre d’ailleurs. Ces derniers sont soutenus par leurs affidés: les journalistes qui sont à leur botte. Ils partagent les mêmes inquiétudes car la promesse d’une carrière de politicien est un débouché naturel pour beaucoup de journalistes (cf. De Carolis à Arles). Cette clique de politiciens roués et de journalistes sans scrupules utilisent tous les moyens notamment les positions anciennes de DM vis à vis de « Me too ». Un point de vue que beaucoup partagent mais qui est désormais un véritable tabou punitif et sur lequel pèse un interdit que Dupont Moretti avait levé. La liberté de parole pour un garde des Sceaux c’est plutôt un préalable positif.
Pas du sérail, Jean Castex ? Enarque, haut fonctionnaire depuis 30 ans (divers postes dans les ministères, à la tête d’agences de santé; directeur d’une cour des comptes régionale, etc…), c’est plutôt l’image même du sérail.
Pas du sérail, Roselyne Bachelot ? Elle est dans la politique depuis 40 ans, avec une interruption de quelques années dans l’infodivertissement, parfaitement à l’aise dans le petit milieu des médias parisiens.
Quant à Dupont Moretti, l’avenir dira, mais quand comme lui on distribuait vertement les baffes aux acteurs de la justice, il fallait bien s’attendre à ce qu’on lui rappelle ses déclarations passées. Lu ailleurs :
« Pour réussir, Eric Dupond-Moretti devra donner des signes de rapprochement. Soit il explose dans trois mois, soit il va jusqu’au bout en ayant un peu mangé son chapeau. »
Non Jean Castex n’est pas du sérail car il n’a pas derrière lui de carrière politique (à part la mairie de Prades). Roselyne Bachelot est une atypique descendue injustement par les grands médias (notamment Elise Lucet) alors qu’elle était ministre de la santé, notamment en raison les reserves de masques qu’elle avait constituée. Pas du sérail non plus Eric Dupont Moretti à l’évidence et si le procureur de Basse Terre démissionne ce samedi c’est justement pour cela. L’acharnement du Rassemblement National à son égard est symbolique aussi.
Avec les politiciens professionnels aux affaires depuis 30 ou 40 ans les arrangements sont tellement plus commodes. Ces hommes du sérail rassurent mais ils ne font pas voter: cf. les municipales. Un palois sur 5 a voté pour le candidat qui est le prototype de l’homme du sérail. Quoiqu’il en dise c’est peu. La démocratie a besoin d’hommes neufs et de visions nouvelles.
Bien sur nous les jugerons sur pièces. Mais attendons un peu…
Ce n’est pas une surprise de voir nommer un avocat aux fonctions de garde des sceaux. Cela est arrivé plusieurs fois par le passé. Ce qui choque bon nombre de magistrats, ne n’est pas non plus le fait qu’il n’ait jamais par le passé exercé de mandat politique, mais les magistrats sont outrés que ce soit Eric Dupond-Moretti qui occupe ce poste. Il est celui qui, dans un passé récent, les a traités de « barbouzards » , « d’une clique de juges qui s’autorisent tout au nom de l’indépendance ». Il a dit en parlant du parquet national financier : »on est chez les dingues ». Qui parle également du corporatisme des juges. Y aura-t-il réconciliation ? On part de loin.
Quand Dupond-Moretti jurait qu’il ne serait jamais ministre :
https://www.franceinter.fr/politique/quand-dupond-moretti-jurait-qu-il-ne-serait-jamais-ministre-de-la-justice-faute-de-competences