La forfaitisation pour un délit

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Sous ce vocable plutôt énigmatique se cache en réalité une évolution inédite du code de procédure pénale. Jusqu’alors, ce mode de sanction n’existait que pour les contraventions. Récemment, lors de son passage à Nice, le premier ministre a évoqué ce moyen pour lutter contre l’usage des stupéfiants. Alors nouveauté ? Quelle efficacité peut-on attendre ?

En réalité rien de bien nouveau puisque la loi prévoyant cette possibilité, date du 23 mars 2019. Son décret d’application est lui daté du 24 mai de la même année. On parle de l’Amende Forfaitaire Délictuelle* (AFD). Ce qui est nouveau, c’est que ce dispositif actuellement expérimenté dans quatre villes – Reims, Rennes, Creteil et Boissy Saint Léger – sera généralisé. Retenons quelques principes de cette loi, en premier lieu, il faut clairement savoir que ce n’est pas une contraventionnalisation du délit d’usage de stupéfiants. Il est important de le préciser dans un contexte où, depuis plusieurs décennies, certains plaident pour une dépénalisation de l’usage des drogues dites douces comme le cannabis. Les mineurs ne pourront faire l’objet de cette procédure. Pourtant il est établi que 48 % d’entre eux ont expérimenté le cannabis. Enfin l’AFD concernera tous les types de drogue sans exclusion. Le montant de l’amende est de 200 € et pourra être modulé en considération du délai du paiement. En dehors de cette procédure, le code pénal prévoit pour le délit d’usage une amende pouvant aller jusqu’à 3750 € et une peine de prison d’un an. Les polices municipales n’ont pas compétence, actuellement pour établir cette procédure.

L’objectif affiché par les politiques est de rendre plus dissuasive la répression pour usage de stupéfiant. Cela répond à une promesse, jugée d’ailleurs ambiguë, du candidat Macron. Le but est également de tenter de désengorger les tribunaux de ces poursuites pour usage de produits stupéfiants par une modalité alternative au traitement de ce délit. Mais ce qui est présenté comme une mesure très simple par ces mêmes politiques, est très critiqué. Actuellement, la réponse pénale est faible avec 54,30% d’alternatives aux poursuites prononcées par les tribunaux. L’aspect automatique de la sanction est considérée comme une répression déshumanisée, illusoire et dangereuse. Il faut admettre, sur ce point, que la personnalisation de la peine, si chère aux juges, se trouve ici ignorée. Ajoutons que, jusqu’alors, le code de procédure pénale écartait la possibilité d’une amende forfaitaire pour les délits.

Il reste que la plus grande difficulté de cette loi tient à son application. Une loi difficile à appliquer perd son efficacité. Les services répressifs, police et gendarmerie, devront s’assurer de la nature du produit consommé. Ce qui, auparavant donnait lieu à des analyses chimiques, ne pourra se faire sur la voie publique. L’agent verbalisateur devra avoir une certitude, non démontrée, de la nature du stupéfiant. Il y a donc ici une large porte ouverte aux contestations par l’auteur de l’infraction. Dans ces cas, on peut s’interroger sur les moyens de preuve dont disposera le service répressif puisqu’il n’aura pas procédé à une identification certaine de la drogue. Après avoir été contrôlé en infraction, l’auteur recevra chez lui, quelques jours plus tard, l’avis d’amende à payer. Il est peu probable, en raison du profil habituel de ces contrevenants, qu’ils s’exécutent immédiatement. Il faudra donc envisager une procédure de recouvrement de l’amende, par voie d’huissier ou renvoyer le délinquant devant un tribunal. Ce qui devrait donc être une simplification de la procédure, se révélera en réalité être un alourdissement de celle-ci.

L’expérimentation engagée dans les quatre villes citée plus haut n’a pas, à ma connaissance, donné lieu à un bilan. Cependant il faut craindre qu’en raison de certaines difficultés d’application, les délits d’usage de stupéfiants soient en diminution. Devant cette complication, il faut logiquement craindre que les services de police et de gendarmerie n’entrent pas systématiquement en répression. Les politiques exploiteront cette baisse des statistiques en y voyant une efficacité de la loi. En réalité, en cette matière, une baisse de la répression ne signifie pas une diminution de l’usage des produits stupéfiants. L’usage ne se fera plus sur la voie publique et les trafiquants auront encore de beaux jours devant eux

Pau, le 3 août 2020

par Joël Braud

* Le terme « délictuelle » est ici impropre, il eût fallu utiliser le terme « délictueuse ».

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