« Je suis Charlie »
« Je suis Charlie ! » Comment oublier, en effet, cet événement : l’irruption mortelle au siège du journal Charlie Hebdo et la prise d’otages au sein de l’Hyper Casher de la Porte de Vincennes qui a ému toute la France et qui nous a mené à manifester à deux reprises à Pau, toutes sensibilités confondues, avec une émotion partagée ? C’était il y a cinq ans à peine et pourtant, une actualité chassant l’autre, l’oubli nous aurait enseveli si nous n’avions pas ce procès parisien qui débute où les faits seront disséqués et répercutés, il faut l’espérer, par les grands médias.
A la une de Charlie, cette semaine, une nouvelle publication les caricatures « du prophète » qui avait été à l’alibi du crime. Emmanuel Macron, du Liban, a justifié justement cette publication rappelant le « droit au blasphème » dans notre pays. La France est un pays laïc qui ne reconnaît donc aucune religion même si elle les connaît toute : ce qui veut dire qu’elle assure leur sécurité et garantit leur fonctionnement. Ce principe de laïcité aurait dû sortir renforcé de ces actes barbares. Car, comme Montaigne, le voisin girondin, nous le disait : « Nous sommes chrétiens, au même titre que nous sommes ou périgourdins ou allemands. » Une phrase que l’on peut tourner ainsi à propos des agresseurs : « Nous sommes musulmans, au même titre que nous sommes ou périgourdins ou allemands. »
Après ces terribles événements, cette idée de bon sens, aurait dû s’imposer. Il s’est passé le contraire. Les extrêmes, à droite comme à gauche, de plus en plus fortement soutenus, hélas !, ont persévéré à classer la société en fonction de sa religion, de sa croyance et en faisant l’impasse sur cette grande majorité de la population qui, elle n’appartient, ou ne pratique aucune d’entre elles.
Disons le sans fard : cela vaut surtout pour les musulmans, eux-mêmes divisés, classés désormais comme les damnés de la République, par une partie de la société ; sans doute la plus généreuse, une partie de la jeunesse notamment. C’est ainsi que l’on a vu naître à gauche, à l’encontre de tous les principes que nous qualifierons de « Jauressiens » (excusez le néologisme…), une pensée indigéniste qui consiste à défendre les habitants des banlieues sur la base de leur appartenance religieuse et non pas sur leur dénuement, renonçant à dénoncer l’exploitation dont elles peuvent être victimes pour faire l’apologie d’une pratique religieuse souvent conservatrice – à l’égard des femmes notamment.
On défile ainsi désormais, -après Charlie, tout de même-, au slogan d’Allah Akhbar, le même qui a servi aux assassins de pacifiques journalistes, Wolinski, Bernard Maris et autres, pour signer leurs crimes. Parmi les manifestants, plusieurs dizaines de milliers de personnes, un ancien ministre et plusieurs députés. Disons-le aussi l’escalade se poursuit tous azimuths : dégradation des églises, attaques de juifs et renaissance du négationnisme avec les récentes inscriptions à Oradour-sur-Glane. Bien sûr il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur telle ou telle communauté. C’est justement ce mot qui fait problème : on parle désormais de communautés -dont il faut s’assurer les voix aux élections- et on passe à la trappe le concept républicain d’intégration.
Pau n’est pas épargné par ce mouvement. Il y a quelques semaines, la cité d’Henri IV a vu cette splendide statue commémorant la libération de l’esclavage au parc Beaumont taguée. Par qui ? Pour quoi ? Peu nous chaut ce qui importe ce sont les faits. On me dira ce n’est pas sur une base religieuse. Certes, mais ce sont les idées qui sont attaquées, la liberté de penser, l’histoire et cela procède du même tropisme : celui de l’intolérance.
Il est probable que la COVIDE accentue ce mouvement d’intolérance : on voit que les rapports se durcissent, que le débat politique se radicalise, que les relations sociales au pays de Voltaire et des Lumières se dégradent, les incivilités se multipliant souvent dans l’impunité. On a demandé beaucoup, c’est vrai, à la jeunesse durant le confinement et voilà que, comme une marmite trop chauffée, le couvercle explose. L’ordre républicain doit être assuré c’est la condition de la justice et de la liberté.
On dit de toute part que le concept de laïcité est désormais ringard ; il est qualifié de dépassé alors qu’il est en réalité d’actualité plus que jamais. Synonyme de liberté, il nous est envié par de nombreux pays et on citera le Liban -ce pays au passé grandiose-, en proie à une douleur intense et victime d’un pouvoir installé sur des bases confessionnelles incompétentes et corrompues. C’est au slogan de « laïcité » que des centaines de milliers de manifestants désespérés ont manifesté.
Nous avons-nous aussi nos martyrs, nous les laïcs : les journalistes de Charlie morts pour avoir défendu nos liberté. Nous ne l’oublions pas.
Pierre-Michel Vidal
Image: couverture du dernier numéro de Charlie Hebdo.
/ « Je suis Charlie » : pour résumer l’actualité, les 3 sites web suivants devraient (presque) suffire… :
① Article « Charlie Hebdo : morts parce qu’ils étaient seuls » (Site web de « Marianne » : par Natacha Polony, Directrice de la rédaction, publié le 02/09/2020)
Chapeau de l’article : « Charlie Hebdo rappelle qu’une liberté, en l’occurrence celle de moquer les religions, n’existe pas si on ne l’applique pas, que ce soit par « respect » des croyances des autres ou par peur. Pour avoir affirmé cela, en notre nom à tous, les dessinateurs de Charlie Hebdo sont morts. Ils sont morts parce qu’ils étaient seuls », explique Natacha Polony. »
Nota : voir aussi les commentaires à la suite de cet article (…)….
URL : https://www.marianne.net/debattons/editos/charlie-hebdo-morts-parce-qu-ils-etaient-seuls
② Article « Droit au blasphème, caricatures, liberté d’expression… Les Français sont ils encore « Charlie » ? » (Site web de l’ « IFOP », en partenariat avec « Charlie Hebdo » : sondage du 01/09/2020)
Chapeau de l’article : « A l’occasion de l’ouverture du procès des attentats de janvier 2015, Charlie Hebdo a commandé à l’Ifop une grande enquête afin de mieux cerner l’état de l’opinion sur les combats menés par le journal satirique ces dernières années (ex : liberté d’expression, critique des religions, primauté des valeurs républicaines sur les préceptes religieux…) mais aussi le regard que les Français de diverses confessions portent sur les auteurs de la tuerie qui décima alors sa rédaction.
Pour cela, l’Ifop a mis en place un dispositif d’étude permettant d’observer la manière dont la position des Français sur ces sujets a évolué au cours des quinze dernières années tout en donnant pour la première fois un aperçu de l’opinion des Français de religion musulmane sur les attentats de 2015 et les sujets de société ayant émaillé l’actualité du journal depuis l’éclatement de l’affaire des caricatures en 2006. Afin d’avoir des données fiables sur cette catégorie de la population particulièrement concernée par ces sujets, l’Ifop a donc non seulement sondé un échantillon « classique » de 1 000 Français mais aussi un échantillon représentatif de 500 Français musulmans, soit dix fois plus que leur nombre habituellement interrogés dans un échantillon national représentatif. »
URL : https://www.ifop.com/publication/droit-au-blaspheme-caricatures-liberte-dexpression-les-francais-sont-ils-encore-charlie/
③ Dossier « Charlie Hebdo » (Site web de « franceinfo: » : Eco / Conso / Médias / franceinfo: . Radio France)
Chapeau du dossier : « Connu pour ses unes provocatrices, ses reportages politiquement incorrects et son humour décalé et satirique, Charlie Hebdo est un journal dont la première parution date de 1961. Ce n’est cependant qu’à partir de 1992 qu’il s’installe durablement dans les kiosques.
En 2006, la reproduction dans ses pages de caricatures du prophète Mahomet lance une controverse nationale sur la liberté de la presse et de l’opinion. Il est la cible de nombreuses menaces des islamistes jusqu’au 7 janvier 2015, où la rédaction est ciblée par un attentat sanglant faisant 12 morts, dont ses plus célèbres dessinateurs dont Cabu, Charb, Wolinsky et Tignous. »
URL : https://www.francetvinfo.fr/economie/medias/charlie-hebdo/