Le mythe du bon sauvage
Georges Vallet, pour lequel, je le précise, je n’ai qu’estime et respect même si je ne partage pas ses points de vue, nous fait ici l’éloge de l’« ensauvagement » ce néologisme ambigu qui a alimenté les gazettes il y a quelques jours. J’arrive après la bataille car la « rotation » de l’information est de plus en plus rapide : à peine un sujet est-il abordé qu’il est déjà dépassé, oublié, jeté dans la corbeille à papier ; ce rythme effréné n’incite pas à la réflexion sur des questions pourtant essentielles. Ainsi fonctionnent les médias aujourd’hui : à peine le problème est-il posé qu’il est zappé. Chacun jugera mais cette frénésie ne leur profite guère, vu la baisse de leurs ventes ou de leur audience ; quelques exceptions mises à part. Comme il n’est jamais trop tard, accrochons-nous au wagon.
Notre ami Vallet est un prosélyte lyrique de l’ensauvagement et derrière cela de l’état de nature perturbé en réalité par la main de l’homme. Après tout, le loup qui mange la brebis encore palpitante n’est pas si méchant que ça puisque, quantitativement, la prédation du carnivore sur l’herbivore n’est que restreinte et somme toute minime. Notre vision ne serait que déformée par les films télévisés, ces documentaires animaliers qui nous montrent le crocodile sur les bords du fleuve, dormant d’un sommeil trompeur en attendant de croquer vivant le gnou le plus faible du troupeau. Le paisible cheminement du troupeau étant l’essentiel de la migration, il serait donc plus « naturel », en quelque sorte, d’en faire le cœur de ces films, habiles mais superficiels. Quel ennui dans les chaumières !
Il y a là, je lui accorde, une vision anthropomorphiste de l’animal ; celle qui domine dans nos sociétés développés : pour faire simple on prête des comportements ou des sentiments humains à des animaux dont nous ne pouvons expliquer les agissements car ils sont –Darwin l’a bien démontré- le fruit d’une évolution millénaire. Respectons et admirons ce mystère qui nous échappe ; l’instrumentaliser est souvent guidé par des projets aux finalités douteuses, bassement matérielles. S’il y a une leçon à tirer de la période que nous vivons c’est que la science n’explique pas tout et que les mécanismes qui régissent le monde, de l’infiniment petit (le virus) à l’infiniment grand, restent à éclairer.
Au fond Vallet ressuscite le mythe du « bon sauvage » théorisé par Jean Jacques Rousseau. L’Histoire oublie que l’auteur du mythe fut dans sa conduite personnelle tout le contraire de l’homme qu’il prétendait être dans ses écrits, puisque, après avoir composé « De l’Education », il abandonna les cinq enfants qu’il eut de Thérèse Levasseur, à l’Assistance Publique. Faites ce que je dis, pas ce que je fais, il ne fut ni le premier ni le seul, donc nous ne lui en tiendrons pas rigueur.
Comme nous le dit Wilkipedia et tel que j’en garde le souvenir de mes cours de philosophie : « le mythe du bon sauvage ou noble sauvage est l’idéalisation de l’homme à l’état de nature (des hommes vivants au contact de la nature) ». On sait que cette idée fut combattue durement par Voltaire et Diderot et que naquit ainsi une controverse historique qui n’a jamais cessé depuis. Voltaire ne tenait pas en haute idée ces théories et il ne lui envoya pas dire ; ainsi cette lettre à Rousseau : « L’homme abandonné à la pure nature n’aurait pour tout langage que quelques sons mal articulés ; l’espèce serait réduite à un très petit nombre par la difficulté de la nourriture et par le défaut des secours, du moins dans nos tristes climats ».
De quoi s’agit-il en effet quand Gérard Darmanin parle « d’ensauvagement » et que, avant lui, Jean Pierre Chevénement évoque le terme de « sauvageons » ? Il s’agit de qualifier la nature des actes que certains individus, sans scrupules, perpètrent bafouant les notions essentielles de progrès, d’ordre et de lois qui protègent ou, du moins, qui ont pour objectif de le faire -on peut ne pas s’en satisfaire, en effet- la société dans son ensemble et par conséquent, d’abord, les plus faibles d’entre nous.
On se souvient à Pau des caillassages d’ambulances appelées en urgence, d’incendies d’Opel Corsa (des voitures de salariés modestes, toujours) et pour finir de l’attaque d’un commissariat de quartier qui faillit se terminer en un drame mortel. Ce quartier n’était pas celui de Trespoey où on ne connaît pas, fort heureusement, ce genre de débordements. C’est un quartier populaire où la mixité sociale domine et où les plus faibles étaient les premières victimes de ces actes d’ensauvagements de la part de sauvageons, isolés mais structurés et dont les motivations s’apparentent au nihilisme.
On s’étonne que Dupont-Moretti, désormais Garde des Sceaux, qui n’a pas peur des mots en d’autres occasions, eut des pudeurs de donzelle cette fois. Est-il plus roué qu’on ne le dit et s’est-il adapté (déjà!) aux méandres de la vie politique permettant au macronisme d’illustrer l’unique pilier sur lequel repose toute sa pensée : « En même temps » ? Je dénonce l’ensauvagement (Darmanin), « en même temps » je critique l’expression (Dupont-Moretti) ; et moi, Macron, je ne choisis pas. La querelle sémantique, masque son but politique : tenir les deux bouts d’un spectre électoral large mais fragile, qui va des socialistes déçus à la droite sécuritaire.
Tout cela n’est pas seulement de l’agit’prop, il y a un vrai débat que Vallet exprime bien : faut-il encenser systématiquement le bon sauvage ? Passer par pertes et profits, les sacrifices humains, les famines, les razzias et la mise en esclavage, le sort des femmes, les épidémies foudroyantes et le reste… La civilisation est-elle une supercherie dont l’objet unique est de séduire les bons sauvages pour les dépouiller de leur richesse et détruire leur bonté en leur imposant nos soit disant valeurs ? Y-a-t’ il des valeurs universelles et au bout du compte, comme le disent désormais beaucoup d’intellectuels, l’Humanisme n’a-t-il pas fait son temps ? Revenons donc à la sauvagerie, à l’état de nature…
Même à Pau, on n’ose pas le dire, mais c’est une réalité que la police et la justice connaissent bien, ces actes délictueux ne cessent de croître. Sauf qu’ils se sont banalisés et qu’on les nomme désormais incivilités. La critique systématique des forces de l’ordre empêchent qu’ils soient combattus de manière vigoureuse pour protéger l’ordre républicain.
Ainsi les extrêmes, les partisans de Marine Le Pen pour l’essentiel, trouvent-ils du grain à moudre dans cette tentation de « l’ensauvagement ». Il serait étonnant qu’au bout du compte notre « bon sauvage » y trouve son compte.
Pierre-Michel Vidal
Image : Exposition « AUTRES, Etre sauvage de Rousseau à nos jours », Musée-Château d’Annecy (74): 15 juin -1er octobre 2012.
Monsieur Vallet,
Votre position « la culture est régie par des normes » m’intéresse beaucoup. Pourriez-vous la développer ?
Je vous remercie
Culture, cultures, normes? Vastes sujets que vous pourrez vous-même aborder en vous baladant sur le web.
Je peux simplement, à partir de définitions, préciser l’affirmation évoquée: «la culture est régie par des normes».
Norme:
+Règle, principe, critère auquel se réfère tout jugement: Se fonder sur la norme admise dans une société.
+Ensemble des règles de conduite qui s’imposent à un groupe social.
Les normes varient en fonction des groupes sociaux.
L’Académie française, fondée en 1634 et officialisée en 1635 par le cardinal de Richelieu, est une institution française dont la fonction est de «normaliser» et de perfectionner la langue française.
On parle de normalisation des relations entre états (Brexit!)
Culture:
Pour l’Unesco:
«Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social.
Du fait des traits distinctifs, on définit, dans le monde, des cultures; elles sont basées sur un ensemble de caractères de critères, de règles, de normes donc.
La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ratifiée au 17 octobre 2003 par 78 États précise:
«Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine.»
L’intégration est «un processus par lequel un individu intériorise des normes et des valeurs de la culture avec laquelle il est en contact, et ce d’une façon conduisant à une insertion réussie à cette culture. Mais la rencontre entre cultures différentes peut aussi déboucher sur la ségrégation ou la marginalisation.
L’UNESCO a pris parti pour une «Civilisation Mondiale Multi-Culturelle».
La déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle de 2001est considérée comme un instrument normatif reconnaissant, pour la première fois, la diversité culturelle comme «héritage commun de l’humanité» et considérant sa sauvegarde comme étant un impératif concret et éthique inséparable du respect de la dignité humaine. Une analogie est la protection de la biodiversité et la constatation de l’existence d’une diversité en biologie dans la nature.
Hélas!, la globalisation, du fait de la marchandisation, des échanges, de la suprématie de certaines cultures à l’échelle planétaire, la diversité des cultures est non seulement fragilisée mais souvent supprimée; c’est une perte irréparable car, comme toutes les diversités, c’est une réserve de potentialités qui disparaît; et c’est contre cette menace que lutte le concept de la diversité culturelle.
L’ennui naquit un jour de l’uniformité.
«L’homme est bon c’est la société qui le corrompt» nous dit aussi Rousseau l’apologue du «bon sauvage».
Encore!! Pourquoi revenir là-dessus? C’est un mythe; s’appuyer sur des mythes pour convaincre, c’est prendre des risques! Heureusement ce n’est pas le cas des chercheurs de terrain et de laboratoire. Ce dont je parle depuis le début, et que j’ai précisé, est une réalité.
«on ne peut pas, malgré cela, mettre en cause la notion de progrès»
Qui met en cause la notion de progrès? Il faut simplement bien définir ce qu’on souhaite tirer du progrès car il est à double tranchant. Il y a du bon et du mauvais, ce n’est pas naturel, c’est culturel!!!
Permettre aux gens de travailler moins, de s’instruire, se divertir,…., grâce aux machines, c’est un progrès; si les machines mettent les gens au chômage et sur la paille, ce n’est pas un progrès!
Ne parlons pas «du progrès» des armes, une vraie réussite! Ne parlons pas du progrès des engrais, Beyrouth est une réussite par rapport à l’agriculture bio; ne parlons pas du nucléaire, un vrai progrès à Tchernobyl ou à Fukushima (19 630 décès et 2 569 disparus.).
Par contre, il y a de vrais progrès dans les énergies renouvelables; elles ne produisent pas assez? Est-ce nécessaire d’illuminer toutes les nuits les bureaux, les commerces, les villes, les enseignes publicitaires…. en créant les pollutions lumineuses? Est-ce un progrès de fabriquer de l’hydrogène «propre» avec du pétrole «sale»?
Aujourd’hui, 95 % de l’hydrogène est fabriqué à partir de sources d’énergies fossiles (gaz naturel, pétrole ) et de bois.
Fabriquer l’hydrogène : fabrication et production | Planète …
http://www.planete-energies.com › medias › decryptages › co…
Par contre, il y a un progrès fabuleux, le plus utile de tous les temps sans doute, avec des moyens plus que modestes, c’est l’hygiène, avec l’asepsie, l’antisepsie, les vaccinations, le savon, la sérothérapie….les antibiotiques. Ils ont sauvés des millions de vies humaines alors que d’autres «progrès», infiniment plus couteux, en tuaient bien plus!
«Quand à Hubert Reeves ce prophète de hall de gare dont le mérite principal est d’avoir fait la fortune des maisons d’édition et la sienne propre, il n’est plus dans l’air du temps. Merci de ne pas le ressusciter»
Prophète de hall de gare?
J’espère que votre lyrisme dépasse votre pensée!
S’il a fait son temps, il l’a bien rempli; d’abord au niveau scientifique, ensuite, à la retraite, au niveau communication pour tous; si vous n’avez pas lu ses productions (peut-être parce que vous ne prenez pas le train assez souvent!!!) sur l’univers dont il est, reconnaissez-le, un des bons connaisseurs, je vous les conseille, cela vous permettra de progresser dans le domaine scientifique; il s’est efforcé de réaliser une vulgarisation à la portée de tous.
Pour ce qui est de la fortune des maisons d’éditions, je pense qu’il est préférable de faire fortune en instruisant les gens qu’en leur expliquant qu’il faut dépenser, consommer, être les plus forts……..pour finalement mettre un masque et ne plus pouvoir, sans danger, embrasser les êtres chers! La Covid est bien aussi la réussite du progrès économique libéral!
«nous avons Greta ça nous suffit largement»
Remplacez nous par me et nous approcherons de la réalité.
En fait pour bien des «nous», les jeunes, beaucoup de gens instruits scientifiquement, conscients de la réalité du danger déjà présent du réchauffement climatique, Greta ne suffit pas, c’est une levée de protestations et de manifestations de tous qui serait nécessaire pour changer de politique!
Nature et culture.
+ La culture, par opposition à la nature qui est innée, est caractérisée par l’acquis, le normatif et le relatif. Ce qui est culturel est donc reconnaissable par son caractère artificiel, évolutif, normatif (la culture est régie par des normes) et relatif (elle change dans le temps et dans l’espace).
+ Ce qui est naturel par contre est universel, statique, inné, il se transmet par hérédité biologique, de génération en génération:
transmission verticale.
Tous les loups, s’ils ont faim, auront le même comportement; tous les chats, tous les oiseaux insectivores aussi…c’est un comportement universel.
Un comportement prédateur, de l’avis général, n’est pas considéré comme une agression en elle-même, mais plutôt comme une motivation particulière associée à la faim. Un chat n’est pas agressif en s’attaquant à une souris»
C’est naturel.
Tous les hommes, dans leurs comportements, ne réagissent pas de la même manière dans le temps et dans l’espace. L’actualité est une bonne illustration. C’est culturel, la transmission n’est pas innée mais acquise:
transmission horizontale.
La méchanceté est le «caractère de celui qui fait le mal intentionnellement et s’y complaît»wikipedia. La méchanceté est donc culturelle.
Non, le loup qui mange la brebis encore palpitante n’est pas méchant!
Oui, celui qui bat son chien, qui tue le taureau, qui abat le gibier(ou son voisin!) sait qu’il fera du mal et s’y complaît, il est méchant!
Il est temps de revoir nos préjugés, estime Hubert Reeves …
http://www.humanite-biodiversite.fr › document › il-est-temp…
«Aux animaux, perçus comme des êtres inférieurs, on associe des attributs dévalorisants : ils sont dits « stupides », « sans intelligence », ou tout simplement « bêtes ». Le mot parle de lui-même. On va plus loin en leur collant des comportements méchants : « se conduire comme une bête », « une cruauté bestiale ».»
La comparaison avec «le bon sauvage»est une très mauvaise comparaison car cela n’a rien à voir avec mon texte où j’évoque le comportement animal et non celui de l’homme; ce «bon sauvage» n’a aucune place dans la recherche scientifique des origines de l’homme, il n’existe pas et n’a pas existé, car, si tous les hommes à l’origine étaient bons cela signifierait que la bonté serait innée, ce que la génétique et la science du passé préhistorique humain n’a jamais constaté, bien au contraire.
Ce n’est qu’un mythe:«Le Bon Sauvage est libre du péché originel, il ne connaît pas la pudeur, l’avarice, la jalousie, la méchanceté, la propriété privée…). Il vit dans un paradis perdu qui pourvoit à tous ses besoins.»
La science l’ignore totalement et ne connaît que le résultat des très nombreuses recherches sur l’évolution des nombreuses et différentes lignées humaines. D’ailleurs, à partir de quel degré d’évolution, de quelle lignée..peut-on parler d’homme?
Le mythe du bon sauvage : Nature, Culture et controverses
http://www.buzz-litteraire.com › le-mythe-du-bon-sauvage-n…
Bac français. Né au XVIe siècle, le mythe du bon sauvage s’est développé au siècle des lumières, au moment même où la civilisation occidentale tentait de…
« L’homme est bon c’est la société qui le corrompt » nous dit aussi Rousseau l’apologue du « bon sauvage ». Changeons « société » par « civilisation » et nous avons la source du grand mouvement de repentir anti-humaniste qui saisit la bienpensance depuis quelque temps. Bien sur, il faut prendre en compte la richesse de ces sociétés qui ont produit les merveilles de l’art premier conservées (en partie) au musée Jacques Chirac à Paris, mais on ne peut pas, malgré cela, mettre en cause la notion de progrès et son universalité. Quand à Hubert Reeves ce prophète de hall de gare dont le mérite principal est d’avoir fait la fortune des maisons d’édition et la sienne propre, il n’est plus dans l’air du temps. Merci de ne pas le ressusciter, nous avons Greta ça nous suffit largement.