America first

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Pau qui fut ville anglaise fut aussi ville américaine et l’historien palois, Pierre Tucoo-Chala l’a évoqué*. Cette présence est conséquente à l’arrivée de la gentry britannique qui, après la défaite des troupes napoléoniennes lors de la bataille d’Orthez (1814) où Wellington (encore lui !) tailla en pièce Soult, choisirent de prendre leurs quartiers d’hiver dans la capitale du Béarn. Les locaux passaient les plats, conduisaient les tilburys, taillaient les haies, rôle peu glorieux mais qui, dans le dénuement ambiant, devaient  convenir.

S’édifièrent alors les villas de Trespoey, le Casino, le Cercle Anglais, le golf de Billère, le stade de la Croix du Prince, etc. Pau étant « the place to bee », arrivèrent les grandes fortunes américaines qui y cherchaient pour leur progéniture des alliances prestigieuses. Cette heure de gloire fit la singularité de la cité. On peut donc dire qu’il y a une sorte de lien séculaire du Béarn avec le nouveau continent. A cette époque les sorties du Pau Hunt étaient commentée en Une du New-York Times… A cette paisible invasion, il faut ajouter la longue tradition d’expatriation des villageois béarnais outre-Atlantique, si bien décrite par le sociologue béarnais Pierre Bourdieu*. Vue de cette fenêtre, la fascination pour les Etats-Unis qui s’est exprimée ces derniers jours se comprend mieux.

Car si les médias nous ont vissé devant leurs écrans c’est que le spectacle de cette fin de règne de de Trump nous a sidéré. En pleine pandémie jeudi, alors que les compteurs sanitaires étaient dans le rouge vif, France 2 a passé exactement les 19 premières minutes de son journal télévisé de 20 heures à nous parler du duel Biden-Trump sans qu’il n’y ait eu aucun développement nouveau de l’affaire. On comptait sur place dix équipes de journalistes qui nous ont présenté chacune leur vision de l’événement c’est-à-dire la même… évoquant le spectre d’une Amérique fracturée, au bord de la guerre civile après nous avoir prédit l’imminence d’une vague bleue et avant de nous présenter Biden, vainqueur sur le tapis, comme le grand rassembleur capable de procéder à la rémission des péchés dans un pays où l’on invoque Dieu pour un oui ou pour un non. Nos médias avaient leur champion Biden. La perspective de son échec les avait fait trembler. L’élection de Joe Biden leur a fait pousser des cris de joie censés nous permettre de passer une bonne nuit (ce qui fut le cas). Les choses sont-elles aussi simples, pour autant ? Que va changer l’élection de Biden pour le Béarnais moyen? Tant d’hystérie médiatique présage mal du sang-froid nécessaire à l’affrontement Macron-Le Pen qui nous attend.

C’est vrai les Etats Unis sont une grande nation. Nous ne cessons de la moquer mais nous nous en inspirons tous les jours dans sa musique, son habillement, son alimentation, ses loisirs, sa technologie. Les américains ont le sens du spectacle et la dramaturgie qu’ils ont offerte cette semaine était pain bénit pour les télés du monde entier. Il y a, caché derrière cette danse du ventre, un profond attachement à la démocratie. Car une participation aussi forte aux élections et l’attente passionnée des résultats contestés voix par voix souvent, est admirable somme toute. C’est une pierre dans le jardin des laudateurs des régimes autoritaires : Russie, Turquie, Brésil ou de la Chine surtout -très en cour dans notre Béarn-, qui pensent que la démocratie serait  ne sorte d’obstacle au progrès, au développement: du temps perdu. L’Amérique, première puissance industrielle du monde, est une démocratie passionnée qui sait se rassembler derrière son drapeau quand c’est nécessaire.

De fait, de notre côté du Grand Océan, nous ne saisissons guère l’essence de cette immense nation composite, notre allié historique (on a un peu tendance à l’oublier…) et les médias ne nous aurons guère aidé à y voir plus clair ces derniers jours. Nous ne comprenons pas comment peut jaillir de ce pays, violent et divisé, une telle énergie. Nous ne comprenons pas ces excès, cet individualisme forcené, cette absence de bon gout… Nous ne comprenons pas mais en même temps nous sommes fascinés et les audiences des JT cette semaine le prouvent. Il y a une sorte de sujétion des esprits, pour ne pas parler de colonisation consentie.

En tout cas ce feuilleton inattendu aura mis au second plan l’inexorable extension de la pandémie, la détresse des familles touchées, l’angoisse liée à la montée du terrorisme islamiste, le choc économique à venir avec son chômage massif. Il aura détourné notre regard dans une situation dramatique, c’est un exploit.

Pierre-Michel Vidal     

Pierre Tucoo-Chalaa https://www.editions-cairn.fr/histoire/681-pau-ville-americaine-9782350682716.html

Pierre Bourdieu https://www.seuil.com/ouvrage/le-bal-des-celibataires-pierre-bourdieu/9782757849798

Et j’ajoute ce tweet éclairant de Michel Vauzelle ancien garde des sceaux

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Un commentaire

  • «On comptait sur place dix équipes de journalistes qui nous ont présenté chacune leur vision de l’événement c’est-à-dire la même»

    Bien d’accord.
    Ras le bol en effet, et cela dure depuis des semaines et pour combien de temps encore!

    Quel capharnaüm aussi quand on s’imaginait que cela faisait «professionnel, car spontané et naturel» de diffuser, 100 fois, des séquences avec des cris et des invectives dans cet horrible accent américain!

    En dehors de ce désagrément qu’on pouvait limiter facilement en zappant, il y en a un autre, plus indirect et sournois car, en zappant, pour faire des économies, on ne disposait que de séquences télévisées déjà programmées x fois donc déjà connues par cœur pour ceux qui ont un peu de mémoire! Heureusement, il restait la lecture!

    Qui va payer cette débauche médiatique? Quelle est la compensation à l’empreinte carbone?

    « j’ai mon visa, mais je scrute les avions, s’inquiète Anne-Sophie Lapix. Mardi soir, comme la veille et le lendemain, je vais présenter le 20 Heures en direct de New York. Entre-temps, je serais allée en Pennsylvanie, à Washington, en Floride. Ça va être très speed. »
    Le 3 novembre, la journaliste interviendra également dans la soirée spéciale USA 2020,…. de nombreux invités, les correspondants permanents Agnès Vahramian et Loïc de La Mornais et les envoyés spéciaux proposeront reportages, témoignages et décryptages.
    Mais le Covid-19 n’aide pas. « Ca n’a jamais été aussi compliqué d’aller aux Etats-Unis », constate Caroline Roux
    « On s’est efforcés d’être débrouillards, et on a été parmi les premiers à trouver le truc pour contourner le +travel ban+ », en passant par des pays d’où l’on pouvait se rendre plus facilement aux États-Unis, témoigne Jean-Marc Four, directeur de la rédaction internationale de Radio France.»

    Inutile de dire qu’en cette période dramatique que nous vivons, de telles sommes dépensées sont choquantes, pour le moins, car elles auraient été la bienvenue ailleurs! Un peu plus de sobriété, donc d’économie, n’aurait pas été un obstacle au devoir professionnel des journalistes, celui d’informer!

    Pour apporter un peu de sel à cette dramaturgie, j’ai pris un certain plaisir à constater le sens de l’humour de Greta Thunberg:
    Elle a repris mot pour mot un tweet de Donald Trump dans lequel il s’était moqué d’elle en décembre 2019.
    «Tellement ridicule. Donald doit travailler sur son problème de gestion de la colère, puis aller voir un bon vieux film avec un ami! Tranquille Donald, tranquille!», a-t-elle écrit, en réponse à un tweet du président américain qui demandait d’arrêter le compte des votes de l’élection présidentielle.

    «Il aura détourné notre regard dans une situation dramatique, c’est un exploit.»
    Pas d’accord pour l’exploit!