« L’extrême-centre » et la culture

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« L’extrême centre » comme on le nomme désormais, au pouvoir avec Emmanuel Macron, ne semble guère avoir d’affection pour le monde de la culture. Il le considère, comme le dit le grand critique musical Alain Duault dans le Figaro, comme « une variable d’ajustement ». Variable surutilisée pour réduire l’exposition à un virus dont le but est de se multiplier comme tout ce qui est vivant. Le monde de la culture est donc envoyé en première ligne dans la tranchée, avec les restaurateurs et tout ce qui concerne le divertissement, la convivialité.

Il n’est pas ici question de nier la gravité de la situation qui ne cesse d’empirer ni la nécessité de prendre des mesures drastiques pour la circonvenir. Mais combien de boulettes le pouvoir aura-t-il commis depuis le début de cette calamité ? Ses manières autoritaires tranchent avec celles de ses voisins allemands, cités pourtant en exemple régulièrement de ce côté du Rhin. La suffisance de Jean Castex lors de sa dernière conférence de presse diverge de l’humilité de son homologue Angela Merkel. L’un se comporte comme un petit maître autoritaire, la seconde comme une chef d’Etat qui indique la voie, suppliant son peuple de la suivre.

On nous dira : « les Français sont indisciplinés, on ne peut pas leur faire confiance… ». Ce long isolement, cette période de restrictions tous azimuts, qu’aucun auteur de science-fiction n’aurait envisagé, a pourtant été largement suivi par la population. Les Français ont fait preuve de discipline, malgré des écarts limités. Il faut s’en réjouir. Alors pourquoi cette attitude méprisante du pouvoir à notre égard ?

L’extrême centre n’aime pas le peuple. Giscard, enterré sous des tombereaux d’éloges -hypocrites souvent-, en est l’emblématique exemple. Il détruisit l’héritage gaulliste, sacrifia l’indépendance nationale sur l’autel d’une Europe renforcée dans sa dérive néo-libérale et dotée d’une administration de fer -avec le résultat que l’on sait : le départ des anglais. L’aventure des « d’Estaing » largement auto-commentée (comme le fait Macron), devait changer le monde. Elle se termina en prenant la piquette face à un candidat qui emmenait dans ses bagages des ministres communistes, chose impensable avant le naufrage. Bilan brillant comme un diamant du Centre-Afrique…!

Macron et Giscard, comme cela été dit ici ou là, ont de nombreuses choses en commun : leur foi d’airain aux dogmes néo-libéraux, leur croyance aveugle au mythe européen, leur dureté à l’égard des modestes c’est-à-dire du peuple et de toutes ses inclinaisons. Ainsi tous les deux se foutent complètement de la culture, de la convivialité et des lieux de plaisir où s’épanouit l’individu. Que les gens se pressent dans le métro pas de problème puisqu’ils vont au boulot ; qu’ils aillent au théâtre, au cinéma, au stade ou au musée, pourquoi faire ? La conception philosophique de l’extrême centre est celle de l’homo economicus, celle du producteur/consommateur (dans les grandes surfaces, en priorité). L’épanouissement de l’individu, son accès au divertissement, à la culture sont classés au rang des accessoires.

A bien y regarder, la politique culturelle paloise, réduite à la portion congrue, est du même acabit : réservée aux secteurs les plus aisés de la population -ceux qui en théorie en ont le moins besoin. « Les idées mènent le monde » sont l’illustration d’une politique culturelle guidée d’abord par l’autocélébration. Autre exemple récent : le hall de la Sernam, lieu magique, sera destiné au skate (n’est-il pas plus ludique en plein air?) plutôt qu’à la musique comme cela avait été envisagé dans un premier temps. Cette dépréciation (faut-il dire mépris ?) d’une culture populaire n’est pas étonnant : le maire de la capitale béarnaise est le parangon de cet « extrême centre » dont il a porté la flamme, esseulé longtemps. Cette traversée du désert débouchera, en bout de course, sur une récompense honorifique et sur le retour du parti de l’extrême centre, le Modem (héritier du MRP), au premier plan ?

De Gaulle avait Malraux, Pompidou l’art moderne, Mitterrand l’amour de la littérature et Chirac les arts premiers. Ils nous ont habitués à autre chose que l’accordéon de Giscard ou à l’inclinaison de Macron pour les « boy band ». La modernité, ce totem centriste, est-ce la limitation de l’individu à son rôle dans la machine économique réglée par le Marché, « veau d’or » devant lequel il devrait s’incliner pour se concilier ses faveurs ? Serions-nous condamnés à la solitude? Gilbert Bécaud, prémonitoire, nous avait assuré (sous Giscard): « La solitude ça n’existe pas » car : « La radio, la télé sont là ».

Il est temps désormais, comme nos amis anglais et américains, de se lancer dans une politique vigoureuse et rapide de vaccinations, seule perspective d’une victoire définitive sur l’épidémie et sur nos solitudes imposées. Est-ce la perspective macronniene ? Ce n’est pas ce qui ressort de la dernière conférence de presse de Jean Castex qui ne l’a évoqué qu’en deux mots, comme une sorte de post-scriptum anodin.  

Tout cela dit sans remettre en cause -encore une fois-  la nécessité d’une politique de confinement pour lutter contre le virus.

Pierre-Michel Vidal

Photo: Emmanuel Macron, à l’Elysée, en compagnie d’un « boy band » (photo DR)

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8 commentaires

  • L’accordéon était déjà ringardisé dans les années 1960 ; https://www.paroles.net/antoine/paroles-les-elucubrations-d-antoine

    Le présent article reprend le célèbre et moqué « oui mais » de Giscard après avoir fustigé, dans l’article « Allumer le feu !!!, le « en même temps » de Macron.
    En son temps, le « ni… ni » de Mitterrand a également fait l’objet de critiques.
    Cela rappelé, je trouve ces débats très obscurs.

    Par rapport à l’article « CONFINEMENT, VERSION II » auquel je n’avais trouvé rien à redire, le présent article me paraît renouer avec des avis sans nuances appuyés par le recours habituel à des personnalités illustres.
    Certes cela fait partie du jeu démocratique. Mais à l’heure où l’illibéralisme s’affirme un peu partout, existe-t-il vraiment des différences d’appréciation entre informations restreintes et informations mensongères voire complotistes ?

  • Comme bien souvent c’est assez amusant relire vos anciennes diatribes à l’aune des nouvelles. Aujourd’hui vous éreintez Jean Castex (« suffisance », « petit maître autoritaire »), alors qu’il y a un mois vous le défendiez :

    « Jean Castex, dont l’accent rugueux, les costumes mal taillés et les assertions maladroites, ne plaisent pas à la poignée d’éditorialistes en cour sur les plateaux -ainsi Alain Duhamel qui y fait la loi depuis plus de trente ans […]- affronte une fronde toujours plus large.

    Il faut donc désormais vous ajouter à la liste de ces éditorialistes en cour 🙂

    De même aujourd’hui la fronde du monde culturel vous inspire une charge violente comme un « gouvernement qui n’aime pas la culture », alors qu’il y a un mois vous enfonciez les libraires, qui osaient argumenter que les livres étaient un produit de première nécessité :

     » [la fronde] est menée par les commerçants, conduite par les libraires qui trouvent des alliés inattendus chez les hommes politiques qui ont des emplois du temps ne leur permettant guerre de flâner dans leurs rayons. Nous voilà revenu au temps où « Poujade avait raison ! », à celle du Cid Unati ! Certes les commerçants et les libraires en particulier vivent des situations dramatiques mais leur instrumentalisation par des forces politiques comme le RN est révoltante.  »

    Donc en résumé :
    – les libraires qui réclament d’ouvrir au nom de l’importance de la culture, c’est révoltant, et le gouvernement a raison de rester ferme.
    – le gouvernement qui maintient les salles de spectacle fermées c’est révoltant et ça montre qu’il n’aime pas la culture.

    Comprenne qui pourra… En tous cas question spectacle vous assurez, il faut le reconnaitre.

    • Comme vous dites « c’était il y a un mois », dans l’attente d’un allégement des mesures de confinement et il est bien naturel de voir les choses sous un autre angle aujourd’hui où nous sommes tous déçus. Comprenne qui voudra et surtout qui sera de bonne foi. « L’entêtement sans l’intelligence, c’est la sottise soudée au bout de la bêtise et lui servant de rallonge » écrit Victo Hugo dans Claude Gueux (que je suis en train de lire). Ca vous va comme un gant…

      • On dit aussi (variante plus populaire) « seuls les imbéciles ne changent pas d’avis », c’est vrai. Ce qui permet à certains d’en déduire qu’une girouette est loin d’être une imbécile.

        Je me permets de vous rappeler que dès le début du reconfinement, il avait été clairement dit et répété que les étapes de déconfinement seraient conditionnées à une baisse suffisante des contaminations. L’objectif de baisse n’a pas été atteint, donc logiquement le déconfinement est retardé. On peut être déçu, mais pas surpris au point de vouer aux gémonies ce qu’on louait hier.

        Par ailleurs je tiens à louer pour ma part votre sens du timing :

        Dans votre article vous opposez « l’humilité d’Angela Merkel [qui se comporte] comme une chef d’Etat qui indique la voie, suppliant son peuple de la suivre », à « La suffisance de Jean Castex [qui] se comporte comme un petit maître autoritaire »

        24 heures plus tard, Angela Merkel changeait de méthode en annonçant la fermeture *obligatoire* des commerces et des écoles jusqu’au 10 janvier.

        Et que lis-je à cette occasion ? Que les établissements culturels sont fermés depuis 6 semaines en Allemagne. J’attends donc avec impatience votre article qui expliquera à quel point les autorités allemandes sont autoritaires (et n’aiment pas la culture).

        https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/12/13/face-au-coronavirus-l-allemagne-se-prepare-a-durcir-les-mesures-avant-noel_6063208_3244.html

        • Je ne voue personne « aux gémonies » (comment pourrait-on le faire dans ces circonstances? ). J’ai seulement en tête ceux qui souffrent de plus en plus avec le temps et un certain art de vivre qui disparaît inéluctablement avec les restrictions qui nous sont imposées (à juste titre peut-être). Rien n’est simple. Et par les temps qui courent la vérité d’aujourd’hui ne sera pas celle de demain.
          Si vos contributions avaient un autre objectif que de mettre en contradiction les auteurs de ce blog ce serait plus profitable pour tous. Mais peut-être ne pensez-vous pas ? C’est tellement plus facile de s’en prendre aux autres…

  • « du peuple et de toutes ses inclinaisons… » Mince ! Il penche du côté où il va tomber ?

    • Cela dit, j’aime votre diatribe, en ce qu’elle a de polémique et de provocateur et malgré les outrances et votre manière drôle de réécrire l’histoire (Giscard était un très fin mélomane. Votre réduction à l’accordéoniste qu’il ne fut jamais m’amuse).

      • « 1973 : L’Auvergnat à l’accordéon. Le style Giscard d’Estaing est marqué par la proximité de l’homme politique avec les Français. L’un de ses talents, c’est l’accordéon : on le voit régulièrement jouer un air lors de fêtes populaires, comme ici avec Yvette Horner ». In: https://www.franceinter.fr/politique/valery-giscard-d-estaing-la-vie-d-un-president-en-35-photos. C’est un bel instrument mais cela ne vaut pas Mozart…

        Quand « aux inclinaisons »: oui, pauvres « roseaux pensants », nous nous inclinons (nous nous courbons) dans telle ou telle direction et le vent en décide pour nous, trop souvent. J’incline pour ce mot plutôt que pour « inclinations » qui vous aurez peut-être mieux convenu. Il y a une nuance à mes yeux… C’est une remarque qui me fait préciser ma pensée. Merci.