L’Algérie française : une histoire à sens unique ?

4.5
(49)

Que l’Algérie et la France soient destinées à entretenir des relations économiques et humaines très étroites est inéluctable. La géographie les met à moins d’une heure de vol et 132 ans de présence française sur la terre algérienne l’ont façonnée  pour en faire probablement – et pour longtemps – un pays marqué par ce qu’elle y a apporté.

Le président de la république, dont la culture est sans doute à la mesure de l’enseignement des événements historiques qu’il a dû recevoir , semble très préoccupé de savoir ce que fut l’Algérie  française. Il en va de même d’une grande partie de la population algérienne comme le rapportera le témoignage d’un voyage récent de l’auteur de ces réflexions.

Après avoir qualifié , le 14 février 2017, le colonialisme,  de crime contre l’humanité, de vraie barbarie et du devoir de présenter nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes, le président de la république a même osé dire « La France a installé les droits de l’homme en Algérie, simplement elle a oublié de les lire ».

Plus récemment, il a cru bon d’évoquer le cas d’un homme torturé en 1957 par l’armée française pendant la guerre d’indépendance. 

De tels propos sont inconscients. Ils alimentent, dans l’esprit d’une certaine jeunesse, la légitimité d’agressions contre tout ce qui peut représenter la France.

Et voilà que, dans un but que seul son intime doit connaître, le chef de l’état a cru bon de désigner un historien, membre pendant 16 ans d’un groupe trotskiste, chargé d’une mission « sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie  »   en vue de favoriser « la réconciliation entre les peuples français et algérien » . Cette entreprise ne peut que raviver des passions. Le rapport de l’historien remis au président de la république a, en effet, été aussitôt rejeté par les anciens combattants algériens qui veulent la reconnaissance de crimes contre l’humanité et donc une condamnation morale et universelle de la France, tandis  que la vision de soldats, d’officiers, de harkis et des populations « pieds-noirs » le désavoue pour des raisons opposées.

Constatant combien son initiative est minée, le président Macron a dû revenir sur ses propos précédents, déclarant qu’il n’y aurait désormais « ni repentance, ni excuses », alors qu’une loi du 23 février 2005 évoqua « le rôle positif de la présence française en Afrique du Nord ».

Les petits pas semblent aller  toujours dans le même sens. Chacun a sa vérité, mais le pouvoir algérien, qui a besoin de légitimer son autorité, veut une victoire morale et le point où nous en sommes laisse à penser que la conciliation des points de vue n’est pas pour demain, sauf à imaginer une bonne foi réciproque.

En 1830 l’Algérie n’existait pas.  C’est la France, avec des immigrés d’origines italienne, espagnole, maltaise et autres d’une part, et l’importation de ses techniques d’autre part, qui en a assuré la création avec un développement industriel, agricole, des routes, des ports, des aéroports, un réseau ferroviaire, des écoles, des lycées, des universités, des hôpitaux et, plus encore, une organisation administrative et judiciaire toujours en place. Bref, c’est la France qui en a fait un pays moderne. Tout cela n’est pas discutable. Et quand le vent de l’indépendance a soufflé , la France a d’abord cru à une rébellion mais on est entré ensuite dans un cycle et des méthodes de guerre où tout a été permis de part et d’autre y compris la torture. 

Il serait trop simple de dire « oui toutes les horreurs d’une guerre ont été commises par les deux parties, mais maintenant regardons ensemble vers l’avenir ».

Cependant, le pouvoir algérien semble en vouloir davantage, effaçant l’œuvre civilisationnelle de la France, afin de remporter sur elle une victoire morale qui pourrait presque justifier ou au moins expliquer les exactions commises aujourd’hui en France par des ressortissants algériens et plus généralement par des citoyens de confession musulmane qui en épousent la cause. Et pourtant beaucoup d’algériens sont friands d’informations sur le temps colonial.

L’auteur de ces réflexions peut en porter un témoignage personnel à la suite d’un séjour, en 2018, avec divers membres de sa famille, à BÔNE, sa ville natale, aujourd’hui ANNABA, et ALGER. Partout, un accueil chaleureux, à preuve une invitation à partager chez elle un menu traditionnel par une inconnue qui était ravie de parler notre langue. J’ai pu m’entretenir librement avec tout un chacun dont j’ai senti le besoin de savoir ce qui s’était passé. Ma naissance sur la terre algérienne a été mon meilleur visa. On avait envie de discuter. Deux thèmes de réflexions essentielles. « Mais pourquoi êtes-vous partis ? Mon grand-père m’a dit que les diverses populations s’entendaient  très bien » ; ou encore « Mais tout ce qui existe , c’est vous qui l’avez fait ».

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, je n’ai senti aucune acrimonie envers les pieds-noirs,  mais je pense qu’alors que la France se répand en reconnaissance de responsabilité dans le conflit armé, les populations algériennes devraient être instruites de l’œuvre de la colonisation dont la philosophie n’était pas de mépriser la population indigène. Un témoignage s’en trouve dans la basilique qui trône sur les hauteurs d’Alger où l’on peut lire au-dessus de l’autel :  «  Notre Dame d’Afrique priez pour nous et pour les musulmans ». C’est cet esprit qu’il faut rappeler et enseigner. Il est au cœur de l’histoire de ce que fut l’Algérie française. Il serait bon que les algériens, nés bien après le départ des pieds-noirs, en soient instruits car, dans le fond, pieds-noirs, chrétiens, juifs et musulmans ont pu vivre en harmonie sur la terre algérienne pendant des décennies.

Nota. En 1830, l’Algérie, n’avait pas de nom ou plutôt elle en avait plusieurs ( Barbarie, Numidie, Africa, Ifrikyia, El Djezair ). C’était une régence intégrée à l’empire ottoman depuis 1519 ( ? ) dont le sultan y était représenté par un dey, chef militaire. Elle n’avait aucune structure administrative ! Elle était l’esclave des turcs . Quant à l’expédition de 1830 ses causes sont multiples mais à cette époque la Méditerranée était infestée de pirates qui se procuraient des femmes pour les vendre aux fins d’alimenter des harems et des hommes pour en faire des esclaves, souvent noirs, au profit des propriétaires occupants, ou des galériens. Cervantès en fut d’ailleurs de 1575 à 1580 avant d’être racheté par l’Espagne . 

Mais la piraterie perturbait aussi le commerce maritime. 

Quoi qu’il en soit l’Algérie doit à la France ce qu’elle est aujourd’hui et la polémique ne sert à rien car chacun a son vécu et / ou son ressenti.

De mon côté, je rejoins celui qui a écrit, un jour : «  L’Algérie , comme la France , doivent désormais réaliser un effort pour écrire une histoire où la justice sera prise en compte. Mais cette recherche ne doit pas empêcher de choisir d’ores et déjà les voies du renouveau ».

Pierre ESPOSITO

Image : Bône, l’hôtel de ville

Notez cet article

Cliquez sur une étoile

Note moyenne 4.5 / 5. Nombre de note : 49

Aucun vote jusqu'à présent ! Soyez le premier à noter cet article.

Nous sommes désolé que cet article ne vous ait pas intéressé ...

Votre avis compte !

Souhaitez vous nous partager un avis plus détaillé ?

11 commentaires

  • La démocratie pas encore en marche en Algérie : un processus plus que difficile sinon impossible à ce jour…

    Lire l’article  » La France « déplore » les menaces du gouvernement algérien contre son ambassadeur
    Source : site web du journal  » Le Monde  » par Le Monde avec AFP, publié le 13/04/2021.

    Chateau de l’article :  » Ammar Belhimer, le ministre algérien de la communication, a invité le diplomate à s’abstenir de rencontrer des opposants favorables à une transition démocratique  »
    URL : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/04/13/la-france-deplore-les-menaces-du-gouvernement-algerien-contre-son-ambassadeur_6076572_3212.html

    Et pendant ce temps là… :  » les affaires  » continuent pour les responsables de ce régime opaque et corrompu !

  • Et toujours pour info et/ou rappel : une histoire à sens unique… (suite mais pas fin)

    Lire l’article  » Algérie : slogans antifrançais et appels à l’unité dans la marche du hirak  »
    Source : site web  » Le Point  » , International . Afrique : par Le Point Afrique avec l’AFP , publié le 10/04/2021.

    Chapeau de l’article :  » TENSION . En dépit de la situation sanitaire, le hirak reprend progressivement son rituel du vendredi pour faire passer ses messages  »
    A lire aussi : les articles signalés dans les rubriques  » A lire aussi  » +  » La rédaction vous conseille  »

    URL : https://www.lepoint.fr/afrique/algerie-slogans-antifrancais-et-appels-a-l-unite-dans-la-marche-du-hirak-10-04-2021-2421565_3826.php

    Divers ou presque / Algérie : on ne va pas rappeler ici, le régime opaque et corrompu qui manifestement méprise le peuple algérien qui lui, ne veut plus du système instauré depuis des décennies (…), pays pourtant riche grâce aux recettes en hydrocarbures (Captation de la rente gazière et pétrolière par des corrompus que je n’ose même pas désigner, mais ils sont connus et ce, depuis très, très longtemps…).

  • Pour info et/ou rappel : une histoire à sens unique… (suite mais pas fin…)

    Lire l’article « Algérie, la révolte des historiens face au verrouillage des archives » (Site « Le Monde » . Le Monde Afrique . International : par Frédéric Bobin, publié le 29 mars 2021)
    Chapeau de l’article : « Encouragés par le débat sur la mémoire ouvert par le rapport Stora, neuf historiens demandent au président Tebboune de mettre fin aux « entraves bureaucratiques ». »

    URL : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/29/en-algerie-la-revolte-des-historiens-face-au-verrouillage-des-archives_6074879_3212.html

  • Pour info et/ou rappel : une histoire à sens unique…

    Lire l’article  » Les généraux algériens relancent la guerre des mémoires avec la France  » (Site  » Le Monde  » . Édition globale : par Jean-Pierre Filiu, publié le 04 avril 2021)
    Chapeau de l’article :  » Le chef d’état-major Saïd Chengriha, en invoquant, au mépris de la réalité historique, les  » millions de martyrs  » tombés face à la France, ferme la porte à la réconciliation mémorielle.  »

    URL : https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2021/04/04/les-generaux-algeriens-relancent-la-guerre-des-memoires-avec-la-france/

  • Et si on laissait les peuples de part et d’autre de la Méditerranée s’exprimer sur ce sujet?
    La France est mon Pays, l’Algérie ma Terre
    Pied noir, j’ai quitté ma terre le jour de mes 16 ans, 20 jours avant l’Indépendance.
    Malgré toutes les horreurs que j’ai pu voir ( premier égorgé à 9ans), aujourd’hui je n’ai aucune rancoeur ou haine contre le peuple algérien. Nous avons grandi ensemble: école, sport, détente fêtes de famille etc……
    Comme le cite l’auteur de l’article, j’ai toujours eu des contacts chaleureux avec tous les Algériens.
    Je pense qu’une formidable occasion du vivre ensemble en harmonie a été loupée pour nos deux communautés; et aujourd’hui nous n’aurions certainement pas les problèmes dans nos banlieues.
    Pour finir, comment De Gaulle, qui a tant fait pour la France; a-t-il pu loupé cela?
    La réponse se trouve peut être dans les livres Alain Peyrefitte sur Le Général De Gaulle

  • Sujet sensible… :

    Pour info. et/ou rappel, et parmi d’autres articles polémiques sur un sujet très controversé, voir l’article :
    « Guerre d’Algérie: « La repentance unilatérale de la France relève d’un dangereux masochisme » » ainsi que les commentaires (Site web du journal « Le Figaro » : Figarovox / Chronique, par Gilles William Goldnadel, publié le 08/03/2021)
    Chapeau de l’article : « Pour l’avocat Gilles-William Goldnadel, l’absence de réciprocité dans la reconnaissance des crimes commis lors de la guerre d’Algérie, est une illustration supplémentaire de la haine de soi pathologique, qui touche le «mâle blanc» occidental. »

    Courts extraits (En-têtes des paragraphes) :
    . Nul, aujourd’hui en France, ne s’oppose à la reconnaissance des exactions, mais dans le cadre du principe de la réciprocité.
    . Au nom de quel principe ontologique ou politique, la vie d’un musulman algérien serait plus précieuse que celle d’un pied-noir d’Algérie ou d’un harki ?
    . Cette préférence pour l’autre, est à rechercher dans cette honte inconsciente de partager avec Adolf Hitler, la même couleur de peau.

    URL : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/guerre-d-algerie-la-repentance-unilaterale-de-la-france-releve-d-un-dangereux-masochisme-20210308

    Nota : voir aussi, dans le corps de cet article, les liens vers les 2 articles suivants via « À lire aussi : »
    . Goldnadel : « l’idéologie gauchisante nous fait vivre dans un asile » (Par Gilles William Goldnadel, publié le 01/03/2021)
    . Jean Sévillia : « Benjamin Stora a une vision partielle, donc partiale, de la guerre d’Algérie » (Par Paul Sugy, publié le 27/07/2020)

  • « Cependant, le pouvoir algérien semble en vouloir davantage, effaçant l’œuvre civilisationnelle de la France, »

    Les essais nucléaires ont-ils été une œuvre civilisationnelle?
    Si oui, cette œuvre sous-jacente au sable, enrichie encore les algériens.

    Quelques info pour ceux qui n’auraient pas connu cette « œuvre civilisationnelle!

    De 1960 à 1966, dans le Sahara algérien, Paris a procédé à 17 explosions atomiques, enterrant sous le sable tous les matériels radioactifs utilisés. Le Monde

    C’était un 13 février 1960, après son premier essai – le plus puissant premier essai nucléaire jamais réalisé – : l’opération Gerboise bleue et ses 70 kilotonnes de fracas et de radiations. Mais ce désert, dans la région de Reggane, n’est pas aussi désertique qu’il y paraît. L’essai nucléaire (quatre fois la puissance d’Hiroshima) s’effectue en présence de soldats et de journalistes français, d’ouvriers algériens, et tout proche (à peine 70 km) des villages alentour. Le Point Afrique.

    Selon certaines sources, près de 40 000 Algériens vivaient dans la région où ont été effectués les essais, en l’occurrence Reggane et In Ecker. En plus des victimes directes, il y a ces nombreux Algériens qui ont succombé à des maladies par la suite, les malformations à la naissance…www.elwatan.com › des-effets-devastateurs-27-08-2020

    Quand les troupes françaises ont quitté l’Algérie, elles ont tout laissé sur place, rappelle Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements. La France a enfoui du matériel radioactif dès 1963 dans ces zones, plutôt que de le rapatrier. Aucune information sur ce matériel n’a été transmise auprès de la population algérienne.

    Le sujet des déchets nucléaires français sera très probablement abordé par la mission sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie », confiée par le président de la République à l’historien Benjamin Stora en juillet.

    Algérie : la France priée d’agir sur les déchets de ses essais …
    http://www.la-croix.com › Environnement
    27 août 2020 — Les populations concernées par les essais nucléaires français dans le Sahara algérien entre 1960 et 1966 ne savent rien des conséquences …

    Pourquoi n’en parlez-vous pas? Dans les émissions où s’exprimaient B.Stora ou Macron sur ce sujet, il n’en est jamais question. L’info serait-elle triée?

    En parodiant Blanché sur notre site: « Oui il fallait dire tout ça !!

    « Certains préfèrent sans doute patauger dans la plaie plutôt que la soigner » écrit J.Dupé
    Les plaies liées aux atteintes nucléaires, même soignées, sont en général irréversibles!

    La réconciliation est indispensable, absolument, c’est l’intérêt de tous, mais elle devrait aussi passer par la réponse aux demandes d’information des lieux d’enfouissement pour une décontamination, et de réparation aux familles qui ont perdu les leurs, pour la gloire de la France!

  • Hé oui, la chose est délicate. Certains préfèrent sans doute patauger dans la plaie plutôt que la soigner. Pourtant tout n’est pas négatif, et bien loin de là.

  • remarquable de sincérité et de vérité, merci pour ce propos.

  • C’est bien clairement et précisément exposé… avec humour…. comme toujours… J’apprécie particulièrement  » Le président de la république, dont la culture est sans doute à la mesure de l’enseignement des événements historiques qu’il a dû recevoir , »Chez eux aussi, plus que jamais, le « gap » est énorme entre les politiques et le peuple.

  • Bravo
    Oui il fallait dire tout ça !!