Croissance «quoi qu’il en coûte.»
«Quoiqu’il en coûte, tel était l’engagement que j’avais pris devant vous dès le mois de mars… Au total, nous avons mobilisé près de 500 milliards d’euros pour notre économie, pour les travailleurs, pour les entrepreneurs, mais aussi pour les plus précaires» E.Macron.
Si tu t’imagines, si tu t’imagines
Fillette, fillette, si tu t’imagines
Qu’ça va, qu’ça va, qu’ça va durer toujours
Maintenant, on commence à diffuser un autre engagement, celui de relancer rapidement et intensément «la croissance».
On va passer du quoi qu’il en coûte financièrement au quoi qu’il en coûte socialement.
Croissance, merveilleuse croissance, «Bonne Mère» qui veille sur nous et nous sauvera !
Une fois de plus la captation des mots par l’économie conduit à l’aberration.
Cette appropriation permet au monde des gestionnaires actuels, de tromper les citoyens qui ne réfléchissent pas.
Un petit rappel de ce qu’est la croissance ne me semble pas inutile pour remettre les pendules à l’heure.
Passons de l’heure d’hiver du passé libéral à l’heure d’été d’un futur durable.
Le mot vient du latin crescere qui veut dire «naître, venir à la vie». Ceres est la déesse de l’agriculture. Dès qu’on vient à la vie, plantes ou animaux, on grandit, le terme de croissance implique une notion d’augmentation.
L’augmentation peut se faire de plusieurs manières :
*Si on multiplie la fabrication de cubes portant chacun une lettre, on consommera énergie et matière ; on pourra les accumuler, ou les vendre,
mais on ne donnera pas du sens ;
c’est la croissance quantitative, elle ne peut être infinie.
*Si on associe ces cubes portant des lettres différentes, on formera des mots, des phrases, on ne consommera pas de matière, seulement un peu d’énergie, pour les déplacer !
Cette «mise en forme» est de «l’information» donc du sens.
Cette croissance qualitative est infinie. C’est identique en musique.
Pour revenir à l’origine biologique du terme, la multiplication cellulaire à partir de l’œuf est d’abord une croissance quantitative ; l’embryon grossit, grandit, avec les apports maternels. Toutes les cellules sont identiques.
Puis, toutes ces cellules se spécialisent et se regroupent en formations spécifiques suivant leur structure et leur fonction. Fruit du programme génétique, elles assurent une croissance qualitative : on parle de tissu nerveux, musculaire, etc. Ceci se réalise par étapes hiérarchiques, on a successivement : tissus, organes, systèmes, organisme…
Cette répartition des potentialités nécessite peu d’énergie car il n’y a pas de synthèse. On peut parler aussi de développement.
La croissance quantitative prend ensuite le relais assurant augmentation de taille et volume jusqu’à l’état adulte.
A l’âge adulte, le besoin de matière devient limité à l’entretien et à la réparation; tout excès est vite pathologique. L’énergie est fonction des activités réalisées et l’information s’accroît sans cesse par les apports de la vie familiale, éducative, sociale, professionnelle.
L’évolution est ainsi le résultat d’une association équilibrée, régulée, associant croissance quantitative et qualitative. L’association des deux est symbiotique.
Dans notre société, il en est de même, mais il n’y a ni régulation, ni équilibre, ni symbiose.
+ La croissance qualitative, par le sens qu’elle apporte, est la base de l’instruction, de l’éducation, de la création,… donc de toute la culture, si spécifique de l’espèce humaine. Si le quantitatif fait partie des moyens, le qualitatif devrait être le «but» vers lequel tend chaque être humain et société.
La jeune pakistanaise Malala Yousafsai a appelé la communauté internationale à ériger l’éducation en priorité absolue.
«L’enseignement c’est le miracle de la multiplication des pains».
M. Serres
+ La croissance quantitative, dans le contexte capitaliste et libéral, a apporté, par ses excès, à l’humanité : gaspillage des ressources naturelles (eaux, forêts, sols, minerais…), pathologies graves, stérilité, pandémies, nuisances en tous genres (mers polluées, littoraux défigurés, terroirs saccagés…), avec au bout du compte des désordres climatiques qui pourraient bien, dans un avenir plus ou moins proche, se retourner contre l’espèce humaine et menacer jusqu’à son existence même.
«Ce mot de croissance, ce joli mot associé à croître et embellir, m’apparaît de plus en plus comme une obscénité car il est devenu, en économie, synonyme de détruire et enlaidir.» («J’ai fait HEC et je m’en excuse». Florence Noiville. Librio IDEES).
Le gaspillage est démentiel, sur les 125 à 130 millions de tonnes de poissons, crustacés, mollusques prélevés chaque année dans l’ensemble des eaux marines et continentales de la planète, environ 45% sont gaspillés ou irrémédiablement perdus. Ne parlons pas des dauphins sacrifiés sur l’autel du profit. Quand on connaît la haute valeur nutritive qui s’attache à ces ressources protéiniques, on reste pantois devant un tel gâchis quand des populations meurent de faim !
Ce gaspillage est possible car les êtres vivants pêchés sont gratuits ; le prix auquel nous payons le poisson correspond au coût de l’accès, au revenu des pêcheurs, à la conservation, à la transformation, à l’acheminement jusqu’au consommateur, à la spéculation; la matière première est gratuite. Il en est de même de l’eau, des produits miniers et de tout ce qu’on prélève dans la nature…
Pour éviter ces gaspillages et destructions, donc la baisse dramatique des ressources, la solution est de faire rentrer la nature vivante et non vivante, dans la sphère de l’économie de marché en lui donnant un prix car nous ne respectons que ce qui a un prix. La fixation d’une valeur est délicate, la meilleure méthode est de calculer les coûts de maintenance ou de restauration de la disponibilité.
Cette croissance sans limite, non régulée, correspond à ce que les Grecs appelaient l’hubris, la démesure.
«La croissance pour la croissance, c’est l’idéologie de la cellule cancéreuse.» E.Abbey.
Elle se suicide, elle et sa descendance, en faisant disparaître l’être dont elle est issue et qui la nourrit.
Notre modèle socio-économique réduit l’homme à sa seule dimension économique, c’est-à-dire à la seule production et consommation de biens et de services. C’est une société matérialiste marquée par la tyrannie de l’argent roi et du chacun pour soi, une société de destruction, de violences, d’insécurité croissante et d’inégalités, génératrice de désillusions et de frustrations. Voyages lointains, grosses voitures, vitesse… , autant de «plaisirs» qui gomment provisoirement le mal être, les angoisses de ne pas être reconnus, de ne pas avoir un niveau de vie supérieur à son voisin ou son patron. Et, en prime, c’est agréable.
C’est là que se situe la confusion entre plaisir et bonheur.
Le plaisir est fugitif, après il faut aller plus loin, acheter une nouvelle voiture, 4×4 cette fois, un nouveau congélateur ou télé, etc., pour obtenir le même résultat ; ce passage a des «produits» plus valorisants coupe de la réalité, qui est de devoir payer, d’où cette recherche permanente de nouveaux gains ou emprunts pour davantage de reconnaissance. Certains évoquent un progrès social !
D’un côté, il faut économiser, et de l’autre gaspiller ! C’est à devenir fou!
«Nous n’avons plus de temps de penser, alors même que nous en gagnons toujours plus»
Pour la sociologue et philosophe Hartmut Rosa, l’accélération est devenue le nouveau visage de notre aliénation.
Alors que nous souffrons de l’accélération considérable de notre rythme de vie, nous nous jetons sur le dernier produit numérique censé, dit la pub, faciliter notre quotidien, révolutionner notre vie même.
Quand il existe une telle dichotomie entre un point de vue et un vécu, c’est que nos sommes rentrés dans l’ordre de l‘addiction.
Gilles Deleuze écrivait, rappelle Isabelle Stengers, que, à la différence de la droite,«la gauche a besoin que les gens pensent» et elle ajoute : «Nos responsables ne peuvent que s’en remettre à un capitalisme qui, vert ou non, n’est pas équipé pour penser, seulement pour saisir des opportunités qui vont s’offrir à lui. Faire confiance dans la possibilité que les gens se réapproprient la capacité de penser, collectivement et individuellement, est désormais ce qui s’impose.»
Le monde d’après sera, et seulement si, il :
*Ralentit la croissance quantitative et accélére la croissance qualitative, donc donne du sens à la vie.
*Fait rentrer la biodiversité et les écosystèmes dans l’économie de marché.
*Se rallie aux recommandations de Serge Latouche en appliquant la règle des 8 R : Restructurer, Redistribuer, Réduire, Réutiliser, Recycler, Réévaluer, Reconceptualiser et Relocaliser.
Signé Georges Vallet
crédits photos : Guy DERIDET
Cette croissance sans limite, non régulée, correspond à ce que les Grecs appelaient l’hubris, la démesure.
«La croissance pour la croissance, c’est l’idéologie de la cellule cancéreuse.» E.Abbey.
Croissance pour croissance nous y sommes. On ne construit plus d’ automobiles parce qu’ il y a un vrai besoin, ( le besoin baisse, le marché chinois est presque saturé en quelques décennies), mais parce qu’ il faut alimenter les robots qui peuvent les produire sans présence d’ êtres humains. Il y a peut être là un vrai danger de la pratique de
l’ économie circulaire. Par contre la consommation d’ énergie primaire pour entretenir ce sytème ne cesse de croître, alors que tout le monde sait que la meilleure énergie est celle que l’ on ne consomme pas..