La traversée du désert
Nous ne savions plus vraiment depuis combien de jours exactement nous errions dans cet univers hostile. Le peuple se trainait en une colonne maigre désormais et désolée. Les vêtements étaient usés, les corps épuisés, les plus vieux étaient soutenus par les valides et les enfants, qui avaient perdu leur insouciance, grimpaient sur le dos de leurs mères pour se donner un peu de repos. Ce n’était que gémissements et pleurs. Nous étions terrifiés par la maladie qui diminuait nos rangs et nous enlevait nos êtres les plus chers. Tous attendions tous, que la nuit tombe pour que la fournaise cesse, que les terreurs nous quittent mais le sommeil brutal n’empêchait pas les cris et les gestes saccadés des terribles cauchemars qui peuplaient nos rêves.
Nous venions de compter nos morts depuis le début de cette fuite éperdue dans le désert et le chiffre brusquement nous parut immense. 100 000 c’est ce que nous avions recensés et il fallut honorer un instant ces morts que nous n’avions pas pu accompagner comme ils l’auraient mérité. Nous cessâmes notre marche alors durant une minute. Une minute de pleurs, de souvenirs amers, de désespoir.
En tête de cette misérable file, nos guides étaient soucieux eux aussi. Soucieux mais décidés, autoritaires souvent, ils nous pressaient d’avancer alors qu’ils ne semblaient pas eux-mêmes connaître le chemin. Ils allaient puis revenaient sur leurs pas et leurs directives nous paraissaient incohérentes. Comment pouvaient-ils trouver une issue dans ce lieu infâme qu’ils n’avaient jamais exploré ?
Ainsi, nous espérions de nouvelles idoles, moins exigeantes, mais devant leur colère violente nous suivions les patriarches, car leur puissance en imposait aux plus faibles et nous avions besoin de guides. Des murmures de récriminations néanmoins montaient parmi nos rangs dégarnis désormais. Ce n’était plus la révolte, c’était le doute.
« Dans le désert, toute la communauté des fils d’Israël récriminait contre Moïse et Aaron. Les fils d’Israël leur dirent : « Ah ! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! » (Ex 16, 2-4).
Nous n’avions pas oublié qu’en Egypte nous étions réduits en esclavage, mais, nous avions alors la vie sauve ! Nous avions au moins, là-bas, sous la férule de pharaon, de l’eau et de la nourriture. Et la maladie ne nous accablait pas… Nous étions alors, dans cette fuite malheureuse, tentés de préférer l’esclavage à la liberté tant le prix de celle-ci semblait trop cher à payer. Le souvenir des eaux du Nil s’ouvrant sous nos pas alors qu’il n’y avait plus d’issue ; notre passage à pied sec malgré la menace des troupes cruelles de Pharaon engloutie brutalement sous ses flots de la mer Rouge ; cette joie intense de nous sentir libérés nous l’avions oublié dans cette tourmente brûlante qui nous accablait chaque matin.
Il y eut alors des nuits de révolte dans cette traversée du désert. Nous, le Peuple élu, nous fûmes tentés d’adorer de nouvelles idoles. En l’absence de Moïse qui s’était éloigné dans la montagne, nous nous prosternâmes devant un veau d’or dans l’espérance que ce dieu nouveau, mette fin à sa souffrance.
« Le peuple vit que Moïse tardait à descendre de la montagne. Il se rassembla contre Aaron et lui dit : « Debout ! Fais-nous des dieux qui marchent devant nous. Car ce Moïse, l’homme qui nous a fait monter du pays d’Égypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé. » (Ex 32,1-2)
C’était un dieu misérable et laxiste, bricolé, dont nous espérions pourtant qu’il marcherait au-devant de nous, pour nous sortir enfin du désert. Mais il existe une voie du désert et Moïse dans sa fureur inspirée descendit de son rocher et nous dit alors “Au coucher du soleil, vous mangerez de la viande et, le lendemain matin, vous aurez du pain à satiété». Le soir même, surgit un vol de cailles qui recouvrirent le camp ; et, le lendemain matin, il y avait une couche de rosée autour du camp. Et la marche se poursuivit, silencieuse car nous étions rassasiés. Pour un temps du moins.
Nous allions vers la Terre Promise, c’est cet espoir qui nous soutenait. Un « pays où coulent le lait et le miel », une terre promise au patriarche Abraham et à sa descendance par Isaac et Jacob, comme une « promesse de vie ». Ainsi après quarante ans de souffrances dans le désert nous ne voulions pas renoncer. Un jour, nous vîmes au loin la plaine verdoyante et le fleuve Jourdain qui la traversait ; nous finîmes par gagner la terre qui nous était promise : Le pays de Canaan.
« Il n’y eut plus de manne pour les fils d’Israël qui mangèrent de la production du pays de Canaan cette année-là ». Josué 5.12.
Pierre-Michel Vidal
Que reste-il du Jourdain ce fleuve biblique, qui a tant baigné notre enfance par son beau nom partant du lac de Tibériade, un simple filet d’eau saumâtre, et boueuse…à l’agonie qui transporte moins de 10% d’eau qu’il avait au temps de sa grandeur. Il est l’exact reflet de notre monde. Agriculture intensive, perte de biodiversité, barrages, cultures déraisonnées et déraisonnables… où nous voulons tout, de tout, tout le temps, comme ailleurs.
L’eau source de conflits ici aussi et comme ailleurs ?
N’allons-nous pas le payer au prix fort ?
Je préfère garder le souvenir magique de ses noms de la « Terre Promise ».
Qu’en est-il de la mer morte qui s’épuise et se meurt comme son nom ?
Inutile que j’en rajoute car je partage la forme et le fond.
La providence a donné une terre à « son » peuple après des souffrances immenses. Il a su la défendre dans l’hostilité générale. Il a vaincu le virus bien avant ceux qui le vilipendent. Il a fait de cette terre une « terre promise » pour beaucoup « d’égarés ». N’y a-t-il pas là, un signe qui devrait nous amener à changer notre regard à son égard ?Ne serait-il pas capable de régler lui-même ses problèmes environnementaux ? Peut-être est-ce déjà fait d’ailleurs…