Les dernières mesures de freinage du Covid-19 décidées par l’exécutif sont-elles justifiées partout ? (Partie 2)
Il y a un peu plus de deux semaines, j’ai proposé, dans ces mêmes colonnes et sous le même titre un article expliquant pourquoi, à mes yeux, le taux d’incidence seul n’était pas un indicateur valable de l’intensité de Covid-19 et, en me basant sur le taux de personnes en soins critiques, proposant d’exclure des récentes mesures du gouvernement les zones géographiques où la pression hospitalière est la plus faible.
Cet article a suscité un certain nombre de commentaires auxquels je voudrais répondre.
Une première réponse a été de me citer la réponse faite par le préfet des Pyrénées-Atlantiques à un journaliste lors de sa conférence de presse : « A la question : Alors pourquoi ne pas assouplir les règles dans le 64 ? La réponse : « On imagine mal que les Pyrénées-Atlantiques ou la Creuse seraient les seuls où les restrictions ne seraient pas appliquées. Sinon tout le reste des Français seraient venus chez nous se confiner. On a quand même triplé le taux d’incidence en cinq semaines. Il faut continuer à être vigilant. Je rappelle que chez nous, le variant historique est quasiment mort et, à plus de 80% des cas, c’est le variant anglais qui est à 41% des cas plus contagieux et agressif ».
Cette réponse me semble mériter quelques commentaires.
Les départements concernés par une exemption ne se limitent pas à deux, mais à une vingtaine avec le critère le plus strict (moins de 3 personnes en soins critiques pour 100 000 habitants) .
Le préfet nous dit : « Sinon tout le reste des Français seraient venus chez nous se confiner. ». Il n’ajoute pas en expectorant des millions de coronavirus, mais tout le monde l’entend quand même. Faire un peu peur au bon peuple peut mieux faire passer des mesures impopulaires.
Lors du premier confinement, on avait à peu près entendu le même discours. Les gens résidant dans les grandes villes, dans de petits appartements, et qui en avaient l’opportunité, sont effectivement allés se confiner qui dans de la famille, qui dans des résidences secondaires. Les études menées ensuite ont montré qu’il n’y avait eu aucune augmentation mesurable des contaminations dans les zones où de nombreuses personnes étaient venues se confiner, même quand elles venaient de zones particulièrement touchées par la première vague. On peut trouver à cela différentes raisons. Tout d’abord, le nombre de gens qui se sont déplacés était relativement réduit car il fallait avoir un point de chute. Ensuite, les maladies respiratoires, en général, et c’est aussi le cas pour celle-là, touchent préférentiellement les personnes qui sont nombreuses à vivre dans des petits espaces. Ces personnes ont rarement, et par leur travail (pas souvent télé-travaillable) et par leurs ressources financières, les moyens de se réfugier dans une résidence secondaire ou, même, dans de la famille.
Monsieur le préfet a aussi cité la Creuse comme département « privilégié ». Le cas de ce département est intéressant car il montre, lui aussi, la dissociation qu’il y a entre taux d’incidence et réelle tension hospitalière. Au 31 mars 2021, date de la décision du président Macron, la Creuse était effectivement le département ayant le taux d’incidence le plus bas de France métropolitaine avec un taux hebdomadaire de 71,4 malades pour 100 000 habitants. Et ce n’était pas un jour exceptionnel, puisqu’il en était de même jusqu’à au moins 10 jours avant et que le taux de la Creuse n’a été battu que le 7 avril par celui des Pyrénées- Atlantiques. Malgré ce taux d’incidence très bas, pendant une longue période, le taux de malades en soins critiques a toujours été supérieur à 6, alors qu’il était inférieur à 3 dans une vingtaine de départements qui avaient tous un taux d’incidence bien supérieur.
Enfin, Monsieur le préfet nous dit que le variant anglais est prédominant chez nous et qu’il est plus contagieux que le variant historique. Si c’est le cas, ne serait-il pas plus efficace d’avoir un meilleur respect des gestes barrières et en particulier du port efficace du masque, c’est à dire couvrant les orifices du nez et de la bouche, au moins dans les lieux clos, plutôt que de fermer des magasins considérés comme non essentiels ou les établissements scolaires ?
Monsieur Vallet, lui, nous dit que le taux de personnes en soins critiques change sans arrêt et qu’on risque d’avoir des départements changeant rapidement de statut de « non confinés » à « soumis aux mesures de freinage de l’épidémie ». Il faudrait, effectivement, avoir une plage où les départements ne sont pas soumis aux restrictions au-delà du seuil de 3 ou d’un autre seuil choisi. Les 5 000 places de réanimation nationales correspondent à un taux de malades en réanimation de 7,5 pour 100 000 habitants. Il me semblerait donc acceptable que la plage où on ne change pas de statut soit comprise entre 3 et 5. Ajoutons aussi que les taux de personnes en soins critiques ne varient pas si vite. Parmi les départements proches, les Pyrénées-Atlantiques ont un taux de personnes en soins critiques inférieur à 3 pour 100 000 depuis le 14 février 2021, les Landes sont dans le même cas depuis le 16 février 2021, le Gers depuis le 22 novembre 2020. Le Lot et Garonne, autre département contigu, n’a eu que 5 jours où ce taux a dépassé 3 (avec un maximum de 3,2) depuis le 21 décembre 2020. On pourrait faire le même constat pour les départements de la pointe bretonne et quelques autres.
Les autres arguments développés par Monsieur Vallet sont ceux qui opposent les partisans des mesures générales et les partisans des mesures territorialisées. Je fais partie des seconds, essentiellement pour des raisons d’efficacité. Toutes les mesures du type restrictions de circulation, diminution des contacts sociaux en « présentiel », comme on dit maintenant, peuvent avoir des effets sanitaires positifs pour la réduction des contaminations, mais ont aussi des effets négatifs au plan économique mais aussi au plan sanitaire aujourd’hui (essentiellement santé psychique mais aussi santé physique par le retard de certains diagnostics et de certains traitements). Il ne faut donc prendre ces mesures que quand elles sont nécessaires. Je pense que les dernières mesures prises n’étaient pas nécessaires dans bon nombre de zones géographiques (agrégats de départements ou départements isolés).
JPP nous dit que la situation, à la fin du mois de mars, ne permettait pas de mégoter. Je suis d’accord avec cette partie de sa phrase. Je pense que, dans certaines zones géographiques, il fallait même prendre des mesures plus fortes, comme un vrai confinement, mais pas qu’il fallait étendre des demies-mesures à tout le territoire national. Mais il semble que notre président avait dit qu’il ne voulait pas de nouveau confinement et qu’il ne voulait pas se dédire.
Yves-Luc Boullis
JPP me reproche d’avoir répondu uniquement à une partie de son commentaire. Concernant les transferts de malades, je pensais qu’il avait constaté de lui-même que ce n’est pas une réponse au problème. Pour transférer des malades en réanimation d’un point à un autre, il faut que leur état soit stabilisé, ce qui limite les possibilités. Il faut aussi que les familles des malades acceptent ce transfert, ce qui est rarement le cas, car il est compréhensible qu’elles veulent pouvoir voir leur malade, même si ce dernier est inconscient. Un médecin, interrogé sur ce sujet, expliquait que même quand on propose de fournir à un membre de la famille gîte, couvert et transport pour accompagner ou aller voir le malade, les familles refusent souvent parce qu’elles ont d’autres obligations dans leur région d’origine.
Monsieur Vallet ne fait que confirmer que la Creuse est un autre exemple du fait que taux d’incidence et taux de personnes en soins critiques sont dissociés, ce que je voulais montrer dans mon article d’origine.
Enfin, n’ayant pas lu la lettre envoyée par les élus au Président de la République, je me garderai bien de la commenter.
Ah mais personne ne dit que les transferts de malades sont simples à mener ni qu’ils sont faciles à vivre pour l’entourage. Mais la réalité est qu’ils sont pratiqués, et que parfois c’est la seule solution qui reste. Des familles refusent (je ne juge pas), mais pour qu’elles puissent refuser il faut que d’autres aient accepté (il y en a).
D’ailleurs si tout le monde refusait que se passerait-il ? Soit des transferts de malade contre l’avis des familles, soit des transferts de personnel et d’équipement de réa des régions peu touchées vers les régions les plus touchées (ça s’est fait il y a un an) : ce qui ne change rien au problème dont on discute car pour pouvoir envoyer ailleurs le personnel de Pau (par exemple) il faut s’assurer que le service de réa de Pau reste loin de la saturation, donc appliquer à Pau les mêmes mesures de confinement qu’ailleurs.
Monsieur le préfet a aussi cité la Creuse comme département « privilégié ».
Est-il toujours de cet avis?
« JPP nous dit que la situation, à la fin du mois de mars, ne permettait pas de mégoter. »
Vous avez oublié la partie la plus importante de ma réponse, qui était que dans un contexte de saturation des services de réanimation dans de nombreuses régions, il était important de s’assurer que les services non saturés dans les régions moins touchées ne le deviennent pas, afin de permettre des transferts de malades.
Cela suffisait à justifier l’application uniforme des mesures confinements, pour que la solidarité nationale puisse jouer. Que des députés veuillent jouer « personnel » pour « leur région » est d’ailleurs totalement navrant, ne serait-ce que parce qu’ils n’ont pas compris qu’ils étaient des élus de la nation et non pas de leur petit coin de pays.
Il ne s’agit pas de contester la nécessaire solidarité nationale. Mondiale d’ailleurs. Il s’agit de prendre en compte, comme cela a été fait dans de nombreux autres pays, la diversité des situations régionales voir même locales. Il n’y a là rien qui offense la solidarité nationale et de ce point de vue les transferts de malades sont tout à fait légitimes.
Sur le principe du déconfinement territorial vous avez tout à fait raison. Pour ce qui concerne les PA j’en veux pour preuve cette lettre écrite au Président de la République ce soir. Elle est signée par les dix députés et sénateurs du département notamment le socialiste David Habib, le LR Max Brisson, l’élue MoDem Josy Poueyto ou Jean Lassalle, ainsi elle transcende les couleurs politiques. On y lit : “Il nous semble que le pays aurait tout à gagner à mesurer les atouts et les faiblesses des protocoles sanitaires susceptibles d’être retenus en matière d’ouverture des commerces, des lieux de restauration, des sites culturels, sportifs et touristiques”.
Ainsi constatant une nette amélioration de la situation sanitaire locale, les parlementaires des Pyrénées-Atlantiques demandent à Emmanuel Macron de déconfiner leur département avant les autres. Pour faire du Béarn et du Pays-Basque un “territoire d’expérimentation” pour la levée progressive des restrictions.
https://www.huffingtonpost.fr/entry/deconfinement-territorialise-les-pyrenees-atlantiques-departement-cobaye_fr_6083d2b7e4b05af50db5f235
C’est du bon sens et la démarche unanime est réconfortante. Bravo donc d’avoir anticipé
Encore relativement épargnée il y a encore quelques jours, la Creuse connaît un regain de circulation du virus. Si le variant anglais est majoritaire, comme partout ailleurs, les variants sud-africains et brésiliens sont beaucoup plus présents en Creuse (16 %) que dans le reste de la France.
« Ainsi constatant une nette amélioration de la situation sanitaire locale, les parlementaires des Pyrénées-Atlantiques demandent à Emmanuel Macron de déconfiner leur département avant les autres. »
Beaucoup de ces députés ne sont pas à court d’idées, le retour des nicotinoïdes en était une; maintenant ils veulent, pour relancer le commerce, faciliter sans doute les échanges avec la Creuse!