Les mots dans les rapports humains.
Il ne se passe pas de jours où sont évoqués, à partir d’exemples concrets, les notions de territoire, de propriété, de limites.
La notion de territoire se manifeste quand on évoque les difficultés des familles logées dans des logements exigus où cohabitent de nombreuses personnes, dans les querelles entre voisins, en ville comme dans le milieu de l’agriculture.
En ce qui concerne les rixes entre bandes de jeunes, l’Etat a favorisé sans réfléchir, ou par économie, la création de «territoires» de plus en plus vastes en créant ces grands ensembles de cages à lapins où les lapins, qui se sont multipliés, cherchent à s’étendre en prenant possession du territoire du voisin.
Le territoire, c’est aussi celui des gangs (drogues, prostitution..,), les zones d’influence des religions conquérantes, les % des votes dans les sondages de chaque parti politique suivant les villes ou régions. Une autre forme s’inscrit dans le monde des entreprises, pour l’obtention de nouveaux «territoires» de vente, de zones de fabrication plus économiques…C’est aussi la conquête des territoires, marins ou terrestres, libérés par les glaces, la main mise sur des espaces lunaires pour la recherche de minerais…..
Quand Mac Donald, les marques de voitures ou de machines à laver affichent leur logo, ils envahissent notre environnement. Citons aussi l’agressivité de la publicité qui envahit nos espaces urbains publics.
Le monde animal et végétal participe également à cette expansion territoriale ; c’est la concurrence pour capter l’espace de perception de la lumière, de l’eau et des sels minéraux, ou le territoire pour la reproduction ou la nutrition; on signale régulièrement l’apparition d’espèces invasives amenées clandestinement par l’économie humaine en recherche de nouveaux territoires.
La notion de territoire, de terra la terre, prend donc en compte l’espace géographique ainsi que les réalités politiques, économiques, sociales et culturelles.
La notion de propriété, bien spécifique, c’est-à-dire «propre» à l’homme, empiète sur la territorialité car l’exploitation des ressources naturelles, terrestres et halieutiques, en attendant spatiales, est une volonté de se rendre maître et propriétaire de la nature. On la retrouve dans la propriété culturelle, en art, littérature, … Elle a aussi un côté caché quand se manifeste le vol et, nous sommes en plein dans l’actualité, avec la domination masculine, le harcèlement moral ou sexuel, le viol, l’inceste même, qui sont des appropriations de corps et d’esprits.
La propriété n’est donc pas toujours propre !
On trouve propreté dans les anciens textes, mais avec le sens de propriété.
L’agriculture mécanisée a permis d’augmenter la productivité de la propriété de 1 à 500 du début du siècle à nos jours. L’avantage a été, en même temps, de faire face au déficit alimentaire de l’après guerre. Par contre, retour de bâton, nécessité d’apport d’engins motorisés et d’intrants chimiques d’origine pétrolière : engrais, herbicides, fongicides, insecticides… en bref tous les «cides» à l’origine de la destruction physique et biologique des sols, de la chute de la biodiversité du fait de la sélection de variétés monospécifiques, monoclonales même, et de la réduction du nombre des espèces et de variétés cultivées.
Ce «progrès» a été l’appropriation d’un capital biologique par une minorité de grands groupes industriels à des fins financières, la disparition des petites exploitations qui faisaient vivre des familles et par la suite, l’exode rural vers la ville, les ghettos du fait de la disparition du travail. La révolution verte c’est aussi la déforestation, des coûts en pollution et artificialisation des sols transférés aux générations suivantes, des côtes polluées aux algues vertes, des suicides)…
A côté de la valorisation de la propriété de certains, des centaines de millions de gens restent affamés et mal nourris alors que d’autres centaines de millions sont malades et meurent en mangeant beaucoup trop et de mauvaises nourritures.
Les conséquences de toutes ces appropriations sont des pandémies, des guerres, des morts, des destructions, des souffrances, des suicides, des sacrifices, des dérèglements du climat, des corps et des esprits, des cimetières qui se remplissent, des champs d’épandage, des décharges publiques des métropoles sources de contamination, des déchets industriels ou nucléaires non dégradables…., c’est aussi l’assujetissement sexuel de femmes et d’enfants….
«Ainsi décrite dans son rythme rapide la croissance même de l’appropriation devient le PROPRE de l’homme. Homo s’approprie le monde physique global par ses déchets durs et par ses déchets doux. Partout, sans cesse tonitruent les résidus, détritus et rebus sonores des moteurs, aérateurs, climatiseurs, broyeurs, réacteurs, concasseurs et tuners saturant le vieux monde cloaque et pugnace des propriétaires.»
Pour s’approprier il faut polluer !
«Les français chantent à pleins poumons un hymne national dont le sens les ramène en deçà même de l’Antiquité. Deux régressions d’un coup : sali par le sang, ce pays leur appartient ; enterrés sous les sillons, les morts, par millions, fondent la patrie, assez salie par leur sang, pur, et celui impur de leurs frères ennemis.»
«Notre propre c’est notre sale.» Michel Serres.
Les limites se posent ; jadis, les limites étaient établies autour des territoires (champs, jardins, frontières, ..), les traditions et les lois les imposaient dans les rapports humains. Progressivement, elles se sont estompées, culturellement, économiquement, socialement, biologiquement, physiquement.. ; pendant un temps il a même été interdit d’interdire ; c’était le règne de l’enfant roi par exemple ; maintenant on veut revenir en arrière mais si les Français se plaignent de cette disparition, ils n’ont qu’une obsession, les dépasser : ski hors piste, absence de masque…, réunions privées non autorisées… La mondialisation, le libre échange ont fait sauter bien des bornes ;
ce n’est plus le slalom géant mais la descente en ski alpin !
Les frontières disparaissent au sein de l’Union Européenne et sont bien perméables à la périphérie, économie oblige ; la pollution, le virus les ignorent, sauf le nuage de Tchernobyl disait-on !!
quant à l’argent, il ne connaît plus les frontières !
Ce comportement est un héritage de notre origine animale, nous l’avons étendu, enrichi, amplifié, mondialisé, de façon catastrophique avec l’aide de notre «intelligence» et de notre technologie invasive.
«Les vertébrés, les mammifères, ont des conduites spécifiques puisque eux-mêmes ont des habitats. Il est constant qu’ils urinent sur les limites de leur niche pour la délimiter. En un seul geste, ils salissent et s’approprient. L’homme fait de même. Depuis la révolution industrielle, nous avons conçu des machines qui font des déchets. Les pots d’échappement sont en effet des déjections tout à fait comparables à des déjections animales et humaines.»
« Au «mal propre» vient naturellement s’opposer le «bien commun». Je pose dans ce livre la recommandation philosophique de redéfinir le droit de la propriété, qui ne protège que ce qui n’appartient à personne, pour y intégrer cette notion de bien commun. Il faudra un jour se mettre d’accord sur le fait que la planète est notre bien commun. Les meilleures civilisations, je crois, les meilleures cultures sont des cultures qui ont très bien défini et respecté le bien commun. Le monde ne nous appartient pas ! Je demande la dépossession du monde. Que l’air, l’eau, redeviennent res nullius» M.Serres.
Pour Alain Obadia, Président de la Fondation Gabriel Peri ;
«La révolution écologique nécessaire pour assurer l’avenir de l’humanité constitue un véritable changement de civilisation. Elle est globale car elle interagit avec nos visions du monde et de l’avenir. Elle est transversale car elle touche à toutes les dimensions de la vie en société.»
Barbara Pompili, à l’Assemblée, avait raison de rappeler Aimé Césaire,
«Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.»,
malheureusement c’était pour défendre une loi incapable de résoudre les problèmes !
Michel Serres propose un contrat naturel ; les vivants, les objets inertes, tout ce qu’on appelle la nature entière, deviendraient des sujets de droit. Il convient de penser un contrat entre les humains et les choses, entre la nature et les nations, comme jadis le contrat social passé seulement dans les nations, c’est-à-dire entre les humains seuls.
«Le nouveau contrat devient un traité de location.».
Signé Georges Vallet
www.editions-lepommier.fr › le-mal-propre
5 févr. 2008 .