Promenade
La fenêtre était ouverte et le monde appelait. Passaient deux cyclistes qui parlaient fort de jardinage, deux autres les filaient. Je n’entendis pas ce qu’ils se disaient. Deux jeunes filles, elles aussi, en balade, me saluèrent. Ce qui je l’avoue me ravit. Un tracteur monstre de dimensions et de puissance secoua l’atmosphère. Un petit tremblement de terre : les chiens aboyèrent ! Puis, une voiture rapide bientôt suivie d’une autre et, enfin, une moto vrombissante, vinrent troubler la paix inespérée d’un après-midi pluvieux. Il y a pas si longtemps, elles ne circulaient plus. Un autre univers était né, silencieux et drôlement angoissant. Le virus en était responsable.
Je tentai une sortie, me couvrant pour affronter cette pluie qui n’en finissait pas de consacrer la terre. Je longeai le canal. Le ciel obscurci venait à la terre. La brume était leur enfant. Soudain, une forte averse me surprit. Elle attendait son heure, comme toujours. De toutes parts, montaient les senteurs printanières : graminées, marguerites, bourraches, boutons d’or, giroflées, jonchant le talus. Les trilles des merles glorifiaient le déluge. J’étais à écouter leur tendre concert. Peut-être est-ce cela ce que Rimbaud appelait l’enchantement ? J’aurais aimé qu’il s’installe et dure. Hélas, je ne pouvais le retenir. Il s’effaça vite face à la noirceur du monde qui ne disparaît jamais. Ce n’est pas être pessimiste que d’en faire le constat. Elle nous accompagne depuis toujours et nous parle de nous, hommes et femmes, qui savons combien la terre nourricière, la terre qui nous a vus naître, est désormais menacée. Il ne se passe pas un seul jour sans nous que ayons à remarquer sa sournoise destruction. Cet après-midi-là, un tracteur répandait sur un labour un fluide qui me sembla douteux ; le nuage qui s’en dégageait était de mauvais augure. Je rebroussai chemin, sous le crachin du soir.
Emmanuel Valenti
Il est toujours agréable de partager les rêveries d’un promeneur solitaire