La dialectique du Virtuel et du Réel

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Comme Haut-Commissaire au plan, comme maire de Pau aussi, François Bayrou lance des idées neuves, par essence controversées, et qui ne manquent pas d’être critiquées par ses proches en premier lieu : gardez-moi de mes amis de mes ennemis je m’en charge. Il faut un vrai courage pour adopter une posture qui en réalité ne l’a jamais quitté : rappelons-nous par exemple sa défense de Louis Aragon devant la droite médusée à l’Assemblée Nationale où sa prise de parole inattendue lors d’un congrès de ce que l’on appelait le RPR qui avait fait scandale. Dans un premier cas il défendait un des plus grand poètes du XXème siècle malgré des engagements radicalement opposés aux siens ; dans un autre il s’adressait à la droite en lui disant, en résumé, « vous ne pouvez pas agir sans moi et mon courant » ce qui était, on le voit aujourd’hui, prémonitoire.

Et voilà que le Béarnais nommé Haut-Commissaire au Plan, récidive en défendant successivement, dans des domaines très différents, des idées qui en « défrisent » beaucoup. D’abord le passeport sanitaire alors qu’il était très contesté en raison de prétendues atteintes aux libertés et plus largement un texte : « Et si la COVID durait ? », où il précisait « telle est la question que nous devons nous poser afin d’essayer de penser l’avenir ».De fait la Covid va durer même si nous espérions le contraire et nous devrons trouver des solutions pour vivre avec en limitant les dégâts. On parle désormais de piqûres de rappel pour assurer la vaccination et les mesures de distanciation ou le port du masque seront obligatoires, pour une longue période. L’avenir sanitaire n’est pas radieux contrairement à ce qu’on aimerait croire.

Ceci découlant de cela, le Haut-Commissaire défend ensuite le produisons français, une idée qui n’est pas nouvelle mais qui avait été ringardisée, dans une note intitulée « PRODUITS VITAUX ET SECTEURS STRATÉGIQUES : COMMENT GARANTIR NOTRE INDÉPENDANCE ? ». Il y souligne : « Un pays comme la France ne peut pas se trouver brutalement exposé à des pénuries de produits vitaux ». Cela semble une évidence mais il est bon de le rappeler car, comme l’écrit Jacques Julliard dans Marianne : « Le mot qui, pour l’Histoire, résumera le mieux la période n’est pas celui de « confinement », mais celui de « déclassement ». Et cela dans au moins trois domaines : la désindustrialisation, le recul intellectuel, et la perte d’autorité de l’État, assortie d’une montée de la violence ». En effet, s’il y a une leçon que nous devrions retenir de la pandémie c’est bien le déclin de la France, son déclin industriel pour débuter ; son incapacité à produire un vaccin en étant une preuve indubitable. Une réalité que beaucoup ne veulent pas voir, se souciant peu du rang de notre patrie dans le monde et de la pente sur laquelle elle s’est engagée.

Puis le maire de Pau,  intitule sa note suivante : « Électricité : le devoir de lucidité ». Il met là un pied dans un débat féroce qui oppose les tenants d’une énergie (soi-disant) propre et ceux qui ont la lucidité d’envisager la production énergétique sous l’angle de l’indépendance nationale ou plus prosaïquement des besoins sociaux. Il fait le choix de l’avenir et de la réhabilitation de l’énergie nucléaire : « Notre capacité de production électronucléaire doit être pensée d’urgence pour compenser les fermetures, forcément nombreuses, qui interviendront dans les décennies à venir du fait de l’obsolescence de centrales mises en service de manière simultanée dans une période de temps particulièrement étroite, en particulier dans les années 1980 ».

La dernière intervention du Haut-commissaire est certainement celle qui déclenchera le plus de polémiques. Il soulève le tapis en évoquant une question éludée et pourtant essentielle : « La démographie. La clé pour préserver notre modèle social ». Il s’agit d’un tabou comme il y en a dans une de ces sociétés dites primitives. Il régente notre vie sans qu’il ne soit jamais évoqué. Il sera largement et durablement accéléré par la Covid. « La France en effet a choisi un modèle de société à peu près unique dans le monde Ce modèle donne à la collectivité, donc à la population prise dans son ensemble, la responsabilité essentielle de la charge de la solidarité nationale. Cela est particulièrement évident et saute aux yeux de tous dans le domaine des retraites. La France a en effet choisi un système de retraites « par répartition » qui met à chaque instant la totalité du paiement des pensions de retraite à la charge de la totalité des actifs ».

Pour faire face à la baisse largement entamée de notre démographie et maintenir un Etat protecteur, François Bayrou propose une solution : « Il manquerait 40 à 50.000 naissances par an pour assurer le renouvellement des générations”, lit-on dans la note du Haut-Commissariat qui précise : “Pour 2020, le solde migratoire est estimé de manière provisoire (à) +87.000 personnes”, un chiffre à comparer avec le solde naturel (les naissances moins les décès) qui était de 149.000 en 2018 et 140.000 en 2019. En 2020, année marquée par le Covid-19, le solde naturel est estimé à 67.000. Il ajoute : “L’apport des migrations peut aider à améliorer le rapport actifs-retraités, et donc la capacité de financement de nos systèmes sociaux ». « L’apport des migrations », c’est le mot qui fâche…

… La Chancelière l’a expérimentée et elle a payée cash. François Bayrou : « Un certain nombre d’analyses, implicites ou explicites, prévoient de pallier les fléchissements ou effondrements de la population par un recours accru à l’immigration. C’est ce qu’on a pu noter en Allemagne au milieu des années 2010, avec l’accueil, largement soutenu par le patronat allemand d’un million d’immigrés en provenance des Balkans, accueillis et installés en une seule vague, avec une forte implication de l’État allemand. » Mais rappelons-nous le mot d’Engels : « l’immigration c’est l’armée de réserve du capital ». Outre les problèmes d’intégration culturelle, cette ouverture à une main d’œuvre moins formée, moins expérimentée socialement, se traduirait par un recul des droits et du niveau de vie de l’ensemble des salariés. D’un autre côté cela peut résoudre une pression qui devient insupportable aux frontières européennes et des situations choquantes.

C’est un débat en tout cas…

Résumons nous : Un état des lieux la Covid et son temps long qui risque d’accélérer le déclin qui guette notre pays donc le nécessaire retour à une production industrielle nationale, une attitude lucide par rapport à l’énergie et l’utile prise en compte du nucléaire, la constatation du déficit démographique et le recours ponctuel à une immigration contrôlée : tout cela est assez cohérent même si ce n’est pas dans l’air du temps.

Débattre sans tabou, lancer des idées un tantinet iconoclastes, c’est une chose mais prendre à bras le corps ces concepts en est une autre. A quoi sert de lancer des cailloux dans l’eau si ce n’est à faire des vagues inutiles et éphémères ? Le lien, la dialectique qui relient le virtuel au réel sont essentiels à la crédibilité d’une politique. Que fera donc le Chef de l’Etat des spéculations du Haut-Commissaire ? Il ne les évoque guère pour le moment…

Pierre-Michel Vidal  

Photo DR.

https://www.gouvernement.fr/haut-commissariat-au-plan

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Un commentaire

  • Il n’y a aucun mystère.
    « son incapacité à produire un vaccin  »
    Ce problème s’intègre dans celui de la recherche en général.
    *Pour le court terme, l’explication de cette « capacité »à faire fuir nos chercheurs qui vont produire ailleurs, de notre incapacité d’exploiter les découvertes obtenues par nos startups…
    *Pour l’avenir, d’avoir une recherche fondamentale de haut niveau, véritable productivité pour l’avenir …
    C’est une question d’argent!
    On compte vivre en mettant les vaccins dans les flacons, on ne veut pas payer les chercheurs, le personnel de santé….