La police est dans la rue
Soyons clairs, ce n’est pas la première fois que les syndicats de police rassemblent leurs troupes dans la rue. Ce genre d’exercice a tendance à se reproduire, surtout lorsque nous nous approchons d’une échéance électorale de niveau national. Mais cette fois-ci, ce 19 mai 2021, on ne comprend pas très bien quel est le motif de la revendication, si revendication il y a.
Oh bien évidemment personne et surtout pas moi, ne peut rester insensible aux crimes et violences répétés et odieux dont ont été victimes plusieurs policiers. Personne ne pourra rester indifférent et surtout pas moi, au fait que l’exercice de cette profession est anxiogène tant pour le policier lui-même que pour sa famille. Personne et surtout pas moi ne pourra se permettre de considérer que ce métier, fait pour être au service des autres, n’est pas un métier noble qui agit pour la protection de notre société. Tout le monde sait bien qu’être policier comporte des risques de plus en plus fréquents. On comprend bien également que cette inquiétude qui les tenaille a besoin d’être exposée parce qu’ils en ont assez d’être jugés avec ces a priori bien faciles et systématiques de ceux qui ne se donnent pas la peine de remettre en cause des opinions qui reposent uniquement sur des postures politiques.
Mais en ce mois de mai, on a quelques difficultés à comprendre ce que les policiers de la police nationale réclament. Est-ce plus une mobilisation qu’une manifestation ? La différence entre les deux étant que lorsqu’on mobilise ses troupes c’est plus pour mesurer sa force que pour revendiquer un avantage nouveau. Il est vrai que cette administration est sans doute la plus fortement syndiquée et que les organisations syndicales y jouent un rôle si important que la hiérarchie elle-même se trouve effacée, voire oubliée. Une hiérarchie qui, semble-t-il, s’est résignée à ne s’exprimer que par le truchement des syndicats ce qui ne la rend pas réellement visible. Quand les politiques se penchent sur la situation de la police nationale, ils reçoivent les syndicats, on n’entend pas dire qu’ils écoutent la hiérarchie. Cela doit bien se produire mais reste ignoré des médias car sans doute jugé sans importance. Est venu le temps de s’interroger sur le véritable bénéfice que représente pour la police nationale une si forte syndicalisation.
Alors que réclament-ils en ce 19 mai ? On a entendu dire qu’ils reprochaient à la justice un manque de sévérité envers ceux qui ont porté atteinte aux policiers. Pourtant rien ne démontre le laxisme de la justice. On entend également dire que par une réforme de la loi certaines peines devraient être minimales et incompressibles lorsqu’elles s’appliquent à ceux qui ont exercé des violences contre eux. C’est pour cela qu’ils se sont rassemblées devant l’Assemblée nationale. Pourtant un amendement a été déposé devant l’Assemblée nationale, prévoyant de porter à 30 ans la peine de sûreté pour les personnes condamnées à perpétuité pour un crime commis contre un policier ou un gendarme. Le législateur serait donc sollicité pour revoir certaines lois dans le sens d’une sévérité accrue. Alors dans ce cas, pourquoi des politiques d’importance, à commencer par le ministre de l’Intérieur lui-même, se trouvent-ils dans leurs rangs ? Car enfin ce sont bien les membres du gouvernement qui ont le pouvoir de soumettre des projets de loi au législateur. Donc si réforme de la loi, il doit y avoir, elle peut, en toute logique constitutionnelle, être initiée par ces mêmes politiques. Mais en ces temps électoraux, l’ambiguïté reste bien utile.
Certains soucieux de relativiser ce mouvement d’humeur et d’inquiétude, rappellent que la justice n’est pas moins sévère qu’auparavant et que c’est même le contraire. L’actuel Garde des sceaux rappelle opportunément qu’en 2015, 120 000 peines de prison ferme ont été prononcée contre 132 000 en 2019. Il dit également que certains propos de syndicalistes policiers à l’égard de la justice ne peuvent être acceptés. Que si les violences exercées contre les policiers sont plus fréquentes, on déplore moins de morts en 2019 qu’en 1975. Qu’enfin le budget alloué à cette administration a progressé de 8% par rapport à 2017. Que les effectifs sont en augmentation, mais que cela n’intervient qu’à la marge sur l’évolution de la délinquance et des violences urbaines. Alors, chacun s’interroge pour connaître la véritable raison de cette mobilisation. En réalité si elle ne tenait qu’au fait que cette institution est syndiquée, lourdement syndiquée, et que les politiques ont compris qu’à une époque où le sujet de la sécurité est particulièrement sensible aux yeux des électeurs, se trouve là une moyen de faire un coup politique. Avec la complicité des syndicats de police bien sûr !
Et pendant ce temps là, les Gendarmes regardent. Chez eux il n’y a pas de syndicat pour afficher un malaise qui doit bien être identique puisqu’ils assurent les mêmes missions. Leur hiérarchie n’est pas, du moins officiellement, contestée. Certains ont même été mobilisés pour éviter que la manifestation des policiers ne dégénère. Jusque là ils n’ont pas fait connaître leur solidarité, ils n’ont pas critiqué la justice.
Pau, le 24 mai 2021
par Joël Braud