Les Français sont-ils repus de démocratie ?
Démocratie, le mot est chanté sur tous les tons. Rempart contre la dictature prétendue des gouvernants, les élections sont le seul moyen pacifique de l’exprimer. Si la souveraineté appartient au peuple, la constitution rappelle qu’elle s’exerce par ses représentants ou par référendum et donc par la voie électorale.
Or, que peut-on voir à l’approche des prochains scrutins ?
Partout, un manque d’assesseurs pour composer les bureaux de vote. De très longue date, les partis politiques y dépêchaient des représentants censés assurer la régularité des opérations. L’article 4 de la Constitution qui dispose : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage » leur reconnaît un rôle essentiel dans l’animation de la vie politique. Mais l’insuffisance d’adhérents, qui explique par ailleurs les circonvolutions utilisées pour alimenter leur trésorerie, rend l’exercice de plus en plus difficile.
Manque d’assesseurs et même dans certaines circonscriptions manque de candidats, preuve s’il en était encore besoin d’un manque d’attrait de la fonction élective même rémunérée.
Enfin, mais plus grave, manque d’électeurs ! L’abstention est depuis longtemps le premier parti politique national. Et là réside la faille de la démocratie car si l’élection légitime l’élu, la faiblesse du taux de participation électoral témoigne d’un mépris sinon d’un rejet de sa candidature.
Et ainsi, voit-on s’insinuer des représentations minoritaires vêtues d’une force majoritaire qu’abstentionnistes et autres ne reconnaîtront pas.
Tous ces désintérêts ont évidemment de multiples causes. La longévité des élus, le cumul des mandats, le passage d’une représentation à l’autre, la jouissance de privilèges, sans compter l’inaccomplissement de promesses électorales, chacun pourra justifier sa préférence pour le concours de pétanque, la pêche à la ligne ou la promenade en montagne.
Et alors que des peuples luttent pour pouvoir exprimer leur choix politique par les urnes, et alors aussi que nous défendons leur revendication, le peuple français semble pâtir d’un excès de scrutins. Que ferait-il s’il en était privé ?
Il faudra bien trouver des solutions afin que la rue ne soit pas le réceptacle de la souveraineté. On peut imaginer le vote obligatoire, comme en Belgique par exemple, ou l’ouverture des bureaux de vote dès le samedi. Mais c’est sans doute la représentation proportionnelle intégrale pour toute élection qui serait la meilleure arme contre l’abstention. Elle a ses défenseurs, Monsieur Bayrou notamment ; le candidat Macron l’avait promise. Ses détracteurs invoquent le risque d’une paralysie des institutions. Argument fallacieux car une majorité monolithique devient fatalement une représentation aux ordres et une minorité une représentation sans autre pouvoir que celui de la contestation.
La démocratie française ne serait-elle plus qu’une façade ?
Pierre ESPOSITO
«Tous ces désintérêts ont évidemment de multiples causes. La longévité des élus, le cumul des mandats, le passage d’une représentation à l’autre, la jouissance de privilèges, sans compter l’inaccomplissement de promesses électorales, chacun pourra justifier sa préférence pour le concours de pétanque, la pêche à la ligne ou la promenade en montagne.»
N’y aurait-il pas aussi le fait que le vote pour Pierre ou Paul ne change pratiquement rien, quoi qu’ils disent, du fait que nos dirigeants, à gauche comme avant, à droite comme maintenant, ont toujours été prisonniers d’une politique internationale ultralibérale, maître du monde, qui impose des directives à suivre ne laissant qu’une marche de manœuvre extrêmement limitée pour les différentes tendances. La démocratie représentative devient alors un simulacre de choix donc de liberté d’expression qui, effectivement, oriente plus vers la «pétanque, la pêche à la ligne ou la promenade en montagne».
Ce qui est à craindre c’est que lassés par ce joug qui écrase toujours les petits, au profit des gros, les non votants, avec l’aide des réseau sociaux, deviennent des agissants!
Malgré les dangers, redoutés par certains, de la proportionnelle, cela ne peut pas être pire que maintenant, et cela permettrait au moins d’avoir une représentativité plus large et plus stimulante peut-être pour les électeurs , abattus, démoralisés, dépressifs………révoltés!
L’illusion de la proportionnelle. Tout le monde (averti) sait que les conseillers régionaux sont élus à la proportionnelle. Et pourtant lorsqu’on regarde les résultats on s’aperçoit que cela ne motive pas davantage les électeurs.
Ainsi sur notre département aux régionale les taux de participation ont été les suivants :
2010 au premier tour : 49,74% au second tour : 52,86%
2015 au premier tour : 49,09% au second tour : 56,20%
Peut-on dire à partir de ces chiffres que la proportionnelle va permettre qu’il y ait moins d’abstention. Le problème est ailleurs et sans doute dans la classe politique.
Ces chiffres sont d’ailleurs très comparables à ceux des départementales qui, elles, ne sont pas à la proportionnelle.
La société actuelle n’est-elle pas est dominée par l’individualisme (au sens d’entre-soi) et cet individualisme n’est-il aussi une cause du désintérêt pour les élections ?
Le désintérêt pour l’action politique serait même tangible au niveau des élus municipaux de petites communes ; notamment de la part des jeunes élus.
Beaucoup ne seraient pas fiables. Le plus souvent, leurs priorités personnelles passeraient avant le service de l’intérêt général.
C’est ce que j’entends dire dans de nombreux villages alentour.
Par exemple dans mon village, une salle de réunion pour le conseil municipal a été aménagée.
Lors d’une visite, l’exigüité de cette salle m’a interpelé et surtout la taille de la table, bien trop petite pour réunir au moins 11 personnes.
Devant mon étonnement, un élu m’a répondu qu’ils n’étaient jamais au complet en réunion.
Cela n’est pas sans rappeler la situation des clubs de foot ou de rugby par exemple qui, faute de baisse des effectifs, se regroupent et qui ne peuvent même pas compter sur une participation régulière des joueurs.
Je pense que la jeunesse trouvera elle-même des solutions. Notamment après avoir lu dans la République des Pyrénées des 19 et 20 juin 2021, sous la plume de Marc Bélit : « Prends garde à la douceur des choses »…
Sans commentaire.
Editorial publiée par Natacha POLONY du journal Marianne
Présidentielle 2022 : l’abstention et les pleureuses du commentaire politiqueÀ chaque élection, les éditorialistes déplorent une abstention record et font mine de s’interroger sur les causes de ce qui commence à ressembler à un naufrage démocratique.
Présidentielle 2022 : l’abstention et les pleureuses du commentaire politique
Édito
Par Natacha Polony
Publié le 17/06/2021 à 15:45
L’ensemble du système politico-médiatique concourt depuis plus de vingt ans à empêcher qu’une offre alternative émerge, déplore Natacha Polony. Car elle signe avant tout le naufrage de tous ceux qui, depuis tout ce temps, s’ingénient à nier les fractures qui déchirent la société française et à repousser toute offre alternative dans les franges de l’extrême droite.
L’exercice est désormais convenu. À chaque élection, les éditorialistes déplorent une abstention record, font mine de s’interroger sur les causes de ce qui commence à ressembler à un naufrage démocratique – millefeuille administratif incompréhensible, cette fois-ci renforcé par la scandaleuse réforme territoriale de François Hollande, coronavirus qui tient les gens chez eux, déconfinement qui les incite à sortir… –, et puis on reprend le train-train médiatique, les commentaires sportifs sur le thème « untel a fait un croche-patte à untel et prend la corde »…
De temps en temps, un sondage rappelle, comme l’étude de la Fondapol, que, pour 64 % des ouvriers et 67 % des peu ou non diplômés, les médias parlent de sujets qui ne les concernent pas. Celle de Viavoice précise que ce sont les politiques qui, pour 44 % des Français, ne répondent pas à leurs attentes. Un lien de cause à effet ? Mais non, évitons ces questions oiseuses et continuons à nous faire croire que les électeurs ont largement le choix et que, s’ils ne votent pas, c’est avant tout parce qu’ils délèguent à d’autres, par paresse ou indifférence, le soin de présider à leur destinée.
Il y a quelques jours, Arnaud Montebourg publiait dans le Monde une tribune livrant sa vision du paysage politique français. Dix ans après la fameuse note du think tank Terra Nova qui entérinait l’abandon par la gauche de la classe ouvrière, l’ancien ministre du Redressement productif dresse le bilan de ce ralliement de la gauche au dogme de la mondialisation heureuse, l’abandon d’une réflexion économique sur les salaires, la production et le nécessaire protectionnisme social et environnemental, l’abandon, également, d’une réflexion culturelle sur l’amour du travail, l’émancipation individuelle et la maîtrise par chacun de son destin.
L’ANALYSE MONTEBOURG
Alors même que Terra Nova récidive en publiant cette fois une note signée Pascal Canfin, député macroniste ancien écologiste, et saluée par l’éditorialiste politique de France Inter, Thomas Legrand, pour démontrer que, face aux « souverainistes » forcément adeptes du « repli »une « mondialisation progressiste » se met en œuvre, qui permettra la régulation, sous l’impulsion d’un Joe Biden généreusement « multilatéraliste » (et pas du tout occupé à asseoir l’impérialisme américain sous des dehors sympathiques et ouverts), Arnaud Montebourg tente de dessiner ce qui pourrait être une offre politique capable de s’adresser à tous ceux que le système actuel broie ou pressure, ceux qui respectent les règles et se font avoir. « Petits commerçants, artisans, travailleurs indépendants, agriculteurs, ouvriers, employés, fonctionnaires de première ligne », écrit-il, associés à une « bourgeoisie d’intérêt général, chefs d’entreprise, hauts fonctionnaires, intellectuels, créateurs » ceux, donc, qui font partie des gagnants du système mais qui considèrent malgré tout qu’il nous amène au chaos.
On peut ergoter sur le découpage qu’opère Arnaud Montebourg entre un « bloc bourgeois macroniste » et un « bloc réactionnaire » lepéniste, mêlant sociologie et idéologie. Peu importe. Le fait politique majeur est celui-ci : Arnaud Montebourg n’est, dans l’état actuel des choses, pas candidat à l’élection présidentielle. Son analyse, pourtant, offrirait un débouché à tous ceux qui ne veulent ni de la nouvelle ligne identitaire d’un Mélenchon qui tourne le dos à son populisme de gauche de 2017, ni des vacuités sociétales d’une gauche dominée par des écologistes incapables de se positionner contre une mondialisation destructrice de l’environnement et des protections sociales, ni d’une droite macronienne ou LR pour qui l’urgence est encore et toujours de répondre aux injonctions des grandes orientations des politiques économiques européennes en détricotant le système des retraites et le marché du travail, ni enfin des caricatures d’un RN occupé à radicaliser ses positions sur l’immigration et la sécurité pour masquer son absence totale de réflexion économique.
PAS D’ALTERNATIVE ?
Mais une option fondée sur l’indépendance nationale par les capacités de production, sur un renouveau démocratique par la reprise de contrôle des outils de la souveraineté autant que par l’affirmation de la primauté de la volonté populaire, sur la cohésion des citoyens autour d’une vision partagée de la France et de la République, n’existera pas.
« On peut aussi choisir de débattre du fond, de la taxation des multinationales, de la place de la France dans le monde, de son identité, des mécanismes de régulation (…) Faire vivre la démocratie plutôt que déplorer sa mort. »
On aurait tort de réduire cela à des questions de personne. L’ensemble du système politico-médiatique concourt depuis plus de vingt ans à empêcher qu’une telle offre émerge. Car elle signe avant tout le naufrage de tous ceux qui, depuis tout ce temps, s’ingénient à nier les fractures qui déchirent la société française, à repousser toute offre alternative dans les franges de l’extrême droite, bref, à maintenir à toute force un système dont ils sont les gagnants et les gardiens.
Nul ne peut présumer ce que sera cette année électorale. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle commence dans la bouffonnerie, la cacophonie et, parfois, l’abjection. Cependant, on peut aussi choisir de débattre du fond, de la taxation des multinationales, de la place de la France dans le monde, de son identité, des mécanismes de régulation, du rôle de l’État comme garant des libertés et des moyens de l’égalité, services publics et infrastructures, plutôt que comme machine à produire de la norme… Faire vivre la démocratie plutôt que déplorer sa mort.