Emotions du chasseur

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Le petit matin brumeux, le café à peine chaud posé sur le réchaud de la cabane et déjà le premier cri du veilleur : palombes ! Palombes ! Tout le monde à son poste. « Semère, semère » chuchote en gascon, langue secrète du chasseur, Marcel qui manœuvre les appeaux. Le nuage bleu tourne au-dessus de la cabane. On entend le bruit sourd des ailes qui battent. « Elles prennent ! Elles prennent ! » me dit Marcel à l’oreille. Dans la cabane le silence est absolu. Les compères sont changés en statues. Le suspens est à son comble. Le nuage bleu fait un second tour avec prudence et au sol les leurres tranquillement picorent le maïs déposé par l’homme. Les traitresses galopent sur les filets pour attirer leurs congénères voyageuses. Mais au loin, le bruit inopiné d’une tronçonneuse… Le vol n’hésite plus alors. Il fuit vers les montagnes lointaines qu’il va franchir en défiant les pièges mais sans doute pas ces tours d’acier posés dans toute la péninsule, avec leurs pâles mortelles qui ne sont que des hachoirs à oiseaux. Ah ! Les moulins de Cervantes…

La belle mordorée se fait rare cet hiver mais Jacques sort chaque jour avec son setter anglais dont il est si fier. Le grelot attaché à son coup résonne dans la forêt silencieuse. « Clarck » tourne autour de son maître, au loin. Parfois le grelot ne sonne plus et Jacques alors charge son fusil. Le quota, sept bécasses par an, n’est pas encore atteint et son cœur bat fortement. Il s’approche lentement dans les fougères. « Clarck » est à l’arrêt et brusquement, comme une flèche, dans le ciel gris de ce mois de décembre, l’oiseau doré jaillit. Jacques le manque une première fois et déjà son second coup de feu est sans espoir car il s’est éloigné pour se cacher dans un taillis. « Clarck » s’est approché de son maître tremblant d’émotion. Après une rapide caresse, il repart, vaillant, ne faisant cas ni des ronces ni des oyats, à la poursuite de la mystérieuse fuyarde.

Dans le grand champ, cette année, ils ont construit les cabanes. Elles sont modestes faites de vieilles planches mal goudronnées. Il faut se pencher pour y pénétrer. C’est une chasse de pauvres. Deux manches déclenchent les ressorts des filets qui se rabattront sur l’astucieuse alouette qui aura cédé à l’appel de ses congénères gavées, de la main du chasseur. Il y a juste un petit banc de bois sur le côté Jeannot y passe ses vacances d’octobre. Il voit défiler sous ses yeux les vols de pinsons, de grives, les « lulus », où les grues aux cris assourdissants. Ils les regardent avec tristesse car sans faire un décompte précis il sent bien qu’ils sont de moins en moins nombreux à faire la migration. Le passage ne se fait plus. Jeannot se perd alors en conjecture : est-ce la pollution répandue dans les immenses champs de maïs ? la multiplication des éoliennes ? ou simplement le vent qui les poussent à prendre des routes nouvelles ? Puis brusquement il entend le cri perçant, joyeux de l’alouette, point minuscule dans le ciel. Il prend son sifflet et répond amoureusement…

On entend le récrie de la meute. c’est une fanfare splendide dans la forêt muette. « Lucky », un griffon fauve de Bretagne, qui mène. Il a de l’allant et il n’a peur de rien. Derrière les chiens, la corne sonne pour rameuter les moins vaillants. « Ca se rapproche » dit le voisin et sur la ligne qui attend le débuché les fusils se ferment. La tension est grande. On parle d’un gros mâle qui a fait de gros dégâts  dans les champs de maïs et il a même retourné la pelouse du club de rugby. Il est au ferme maintenant. Il fait face aux chiens qui hurlent de dépit car ils n’osent pas approcher ce monstre de muscles à la peau imperméable aux morsures. Ferme roulant, pressé par les chiens, le cochon repart et fonce en direction des chasseurs. Il saute le fossé et roule sur le chemin, dans la rosée matinale, une blessure au flanc. Il râle encore. Il faudra l’achever. Il aura vendu chèrement sa peau. Dimanche, le match de foot se déroulera sur une pelouse impeccable au stade du village.

A tous mes ignorants comptenteurs, qui parlent de ce qu’ils ne connaissent pas, je dédie ces souvenirs  qui valent mieux que toutes les séries de Netflix. En regrettant cette inclinaison contemporaine à l’interdiction et à l’ostracisme.

Pierre-Michel Vidal

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2 commentaires

  • « A tous mes ignorants comptenteurs, qui parlent de ce qu’ils ne connaissent pas, »

    Pour dire que ce n’est pas bien de battre sa femme, il faut aussi avoir battu sa femme pour bien savoir de quoi on parle ?

  • « Ah ! qu’en termes galants ces choses-là sont mises »

    Le contenant est en effet fort bien dit mais le contenu mériterait de montrer une bien plus grande connaissance de ce que sont les émotions ressenties par les uns et des autres ,donc une grande ouverture d’esprit.
    Pour cela vous devriez nous proposer un texte sur « Les émotions du chassé »