Au musée de Pau : « Goya témoin de son temps »

Jusqu’au 30 janvier prochain, le musée de Pau accueille une exposition « Goya témoin de son temps ». Les visiteurs sont déjà très nombreux ce qui est le signe de la qualité de cette présentation qui attire un public souvent jeune, que l’on n’a pas l’habitude de voir dans ces lieux ; mais que sait-on vraiment de la jeunesse ?
Il s’agit, pour l’essentiel, des principaux ensembles de gravures du grand peintre Aragonais Francisco de Goya y Lucientes (né en 1746 à Fuendetodos et mort à Bordeaux en 1826) : « Les Caprices » réalisés entre 1797 et 1799, les « Désastres de la Guerre » (1810-1820), « La Tauromachie » (1815-1816) et « Les Proverbes » de 1815 à 1823. Tout cela fait un ensemble que l’on peut qualifier de « monumental » auquel il faut y ajouter une série charmante de petits tableaux représentants les jeux d’enfants. L’expo, par sa taille, est un peu à l’étroit dans notre nouveau musée et il faut se contorsionner pour lire les commentaires appropriés à chaque œuvre. Dommage car ils sont bien écrits et opportuns. Il nous faut donc un musée plus vaste tant les ambitions de ses responsables semblent grandes, ce dont il faut les féliciter…
Il y a peu, une exposition du peintre Aragonais était présentée à Agen, une autre est montrée en ce moment à Lille; c’est dire le côté prolifique de cet incomparable génie. Le mérite de la présentation paloise c’est de montrer les œuvres de Goya dans leur ensemble : on présente, ici ou là, une partie des « Caprices » ou des « Malheurs de la Guerre », par exemple, mais rarement leur intégralité. On voit ici la dimension et la cohérence du travail de l’artiste, sa vision du monde, la force de sa critique sociale, son empathie pour les victimes et les faibles, son amour de la tauromachie comme métaphore de l’activité humaine, la force de sa dénonciation du clergé, des puissants, des militaires.
Le regard de Goya, qui s’appuie sur une technique incomparable, est sombre, pessimiste et en même temps ironique devant tant de malheurs que la société s’inflige à elle-même. C’est une sorte de regard journalistique qui serait pétri de talent et d’humanité. Adepte des idées des « Lumières », il ne peut se résoudre aux malheurs que l’Homme subi. L’homme ou la femme d’ailleurs, souvent au centre de ses gravures, victime non seulement des « Désastres » mais aussi de la violence masculine, violence gratuite, incontrôlée comme on le voit dans nombre de ces gravures.
De ce point de vue le travail tragique du peintre est d’une actualité troublante. La violence et l’horreur (« Les Désastres de la Guerre »), les cauchemars et les fantasmes des « Caprices » souvent oniriques et mystérieux, l’injustice et l’hypocrisie de ceux qui prétendent nous imposer leur loi dans les « Proverbes » (qui pourraient être aussi des rêves terrifiants) et la violence dominée par les intrépides espadas de La « Tauromachie » qui inspirera tant de grands peintres après lui (Monnet, Picasso, Botero, etc.). Cette dernière série, dans le collimateur désormais de la cancel culture, devrait-elle faire l’objet d’autodafés ?
Ce sont sans doute les « Malheurs de la Guerre » qui nous ferons le plus réfléchir. La neutralité de Goya, ses convictions « libérales », n’adoucissent pas son regard devant cette boucherie insensée, première guerre totale de guerilla (650 000 morts). L’artiste ne trouve pas d’excuses à la violence de l’oppresseur et le sacrifice insensé du peuple armé, son goût du sacrifice, ses souffrances sont soulignées. Faut-il y voir le germe de la terrible guerre civile qui se déroulera sur les mêmes lieux un siècle et demi plus tard ? L’histoire se répète-t-elle toujours ? Et certains peuples sont-ils touchés plus que d’autres par la malédiction de ces pulsions mortifères ?
Goya fut de ceux que l’on appelait les « afrancesados », proche de la monarchie exportée par la force des baïonnettes au nom de la liberté et des idées nouvelles. Il sera adoubé par Joseph Bonaparte, le frère de l’Empereur. Mais il ne sera en rien son partisan dans les malheurs que traversera son pays et le plus dur de sa critique va à l’encontre de l’envahisseur. Il est guidé toujours par cette inclinaison pour les malheureux affamés, les victimes pendues, les membres démantelés, les corps nus entassées dans des charrettes minables qui évoquent des génocides récents.
Rien ne nous est épargné. On sent la colère et le désespoir derrière ces gravures avec une première leçon simple : aucune bonne raison ne peut s’exporter par la force. La rébellion toujours s’oppose au talon de fer. La loi du plus fort ne dure qu’un temps mais les révoltes sont sanglantes comme le nuage est porteur d’orages elles portent le malheur.
Pierre-Michel Vidal
Ce qui est intéressant dans cet article très bien écrit, outre la radioscopie du peintre-dessinateur et des informations que l’on ne connaissait pas (650 000victimes!!!), ce sont les allusions à notre époque, non seulement la cancel culture (quoique la tauromachie soit une cause douteuse qu’il est quand même et à juste titre difficile de défendre), mais surtout à l’Afghanistan et autres interventions actuelles pour changer les pays cibles. Évidemment les USA ont échoué – le Français peut-être aussi au Sahel. On ne peut pas imposer un régime politique par la force à des civilisations qui obéissent à d’autres normes. Mais, en poussant plus loin, doit-on les laisser à la merci du pire ? Doit-on les laisser transformer pour qu’elles deviennent un danger pour elles-mêmes et pour nous ? Le droit d’ingérence… sans arrogance…?
Bravo pour le niveau d’Alternatives Pyrénées.