Il nous la baille belle, Le Robert avec son « iel » .

Une affaire de langue française
La langue française n’a pas de neutre, tandis que d’autres langues en ont un. En anglais : he, she, it.
En allemand : der, die, das.
En bosnien : on, ona, ono.
En russe il y a aussi le neutre.
Le neutre est logique puisque les objets n’ont aucune raison d’être genrés. L’attribution d’un neutre à la langue française pose de grandes difficultés, car il faudrait revoir tous les adjectifs, les règles d’accord des participes passés, et bien d’autres choses encore, pour faire plaisir à une minorité de Français qui prétendent ne pas se reconnaître dans les deux genres, qu’ils se regardent donc dans la grande glace de leur salle de bain. Il est vrai que le genre est dans la tête et le sexe un peu plus bas.
Les Italiens, les Espagnoles, les Portugais, comme nous, n’ont pas de neutre :
En italien : il, la
En espagnole : el, la
En portugais : o, a
Sortons de l’Europe, le mandarin n’a pas de neutre, non plus que l’arabe et l’indi, langue majoritaire en Inde.
Il semble donc que la majorité des milliards d’humains se débrouillent très bien pour se comprendre avec seulement les genres masculin et féminin.
La logique, me semble-t-il, est du côté d’un genre neutre pour rendre tous les objets dont le genre masculin ou féminin est totalement arbitraire et tous les cas humains où les hommes et les femmes sont mélangés.
Beaucoup de gens importants, en France, se sont déclarés contre cet « iel ». Un académicien, Jean-Marie Rouart a même écrit un article l’accusant d’être « le virus de la déconstruction de notre langue ». Là, cela me paraît grossièrement exagéré, car notre belle langue serait ainsi au niveau de l’anglais, de l’allemand et du russe et on ne se poserait pas dix fois la question s’il faut ou non mettre ce petit « e ».
Une affaire d’humanité
Pour prendre parti je vous propose de prendre du recul. Mais alors quel recul ! attachez vos ceintures ! Je vous invite à un voyage dans l’espace de 5000 KM vers le Sud, ce qui nous situe sur l’équateur en Afrique (on verra plus loin pourquoi l’équateur) et surtout dans le temps, soit 100.000 ans en arrière à l’époque du Paléolithique. Nous avons posé notre vaisseau spatio-temporel près d’une tribu de Sapiens, nous les voyons et les entendons mais ils ne nous voient pas. Un groupe est dans un atelier de taille de pierres ils se parlent avec un langage de niveau 1.
Un langage de niveau 1
J’appelle ainsi un langage qui code par voie orale toutes les objets utiles ou dangereux, et aussi les hommes, mais sans la moindre relation entre les différents mots. Bien sûr, il n’y a pas le moindre mot abstrait. Comme ces Sapiens vivent un éternel présent leurs quelques verbes ont un seul temps : le présent. Ils ont le feu, la pierre taillée et un langage sans hiérarchie, ce qui fait que la notion d’ennemie n’existe pas. Ainsi, de notre vaisseau spatio-temporel nous assistons à la scène suivante :
- Ah, zut, le feu est éteint ! Je demande à ceux d’à côté.
- Tu me passes du feu ? Les gosses l’on laissé s’éteindre.
- Pas de problème !
Le Sapiens de la tribu d’à côté souffle puissamment sur le foyer, ranime le feu, prend un brandon et le donne. » Donc, pas de guerre du feu à cette époque, c’était un petit paradis. Plus aucune langue actuelle n’est restée à ce stade, aucun anthropologue ne l’a rencontrée. On pourrait l’appeler « monochéen » pour la distinguer du « manichéen » qui oppose deux principes. C’est cette période qui est restée dans la mémoire des hommes comme Le Paradis. Cette langue était du même niveau logique que celle de certains animaux.
Un langage de niveau 2
Continuons à observer cette tribu vue de notre vaisseau invisible. Un des Sapiens est plus sage que les autres. C’est à lui que l’on vient apporter les champignons pour les choisir. C’est lui qui soigne : quand l’un est mordu par un serpent il agrandi la plaie avec un silex puis il suce et crache le poison. Le soir, allongé sur le dos, il observe les étoiles et remarque la périodicité de la lune. Sur l’équateur la nuit tombe brusquement, je l’ai personnellement remarqué, cela parce que la tangente de la course apparente du soleil est verticale au levée et au couché. Donc, notre Sapiens plus que sage, génial, se dit « la nuit est LE CONTRAIRE du jour ». Un concept nouveau envahi sa conscience, il faut lui trouver un mot. Il l’appelle « tip-top » : la nuit tip-top le jour. Le lendemain toute la tribu émerveillée propose des tip-tops. Le silex tip-top la graisse. Le feu tip-top l’eau. L’un d’eux, en rigolant, propose : « la femme tip-top l’homme ». Un silence se fait : on a encore franchi un stade. Il explique : « Et bien oui, durant le coït, la femme est tip-top l’homme ». Le Sapiens génial fait une analogie :
« la nuit tip-top le jour »
« la femme tip-top l’homme »
Tant qu’à être génial, il fait une projection : toute l’humanité dans tout l’univers. Puisque l’humanité est genrée en masculin, féminin, tous les objets sensibles se voient attribués un genre. Ainsi l’arbre est masculin et la roche est féminine. Cette nouvelle façon de voir les choses se généralise dans toutes les tribus de Sapiens qui sont toutes amies entre elles comme on l’à vu plus haut. L’humanité dispose d’une clé pour comprendre le monde, du moins elle le croit.
Nous en avons assez vu dans ce lointain passé, appuyons sur les bons boutons pour nous retrouver en l’année 2021 avant qu’elle ne se termine. Ouvrons le livre de Yuval Noah Harari ***, nous y voyons que, à moins 100.000 ans, les Sapiens dont nous sommes issus sont cantonnés dans le quart Sud-Est de l’Afrique. Nous voyons aussi que l’humanité a commencé à sortir du berceau africain il y a environ 70.000 ans. A partir de là, en 10.000 ans elle atteint la Chine, en 25.000 ans elle est en Australie et enfin en 59.000 ans elle atteint la Terre de Feu. Elle a colonisé la quasi totalité des terres émergées, montrant aussi son adaptabilité au climats chauds ou froids, secs ou humides. Elle a aussi forcement colonisé le reste de l’Afrique.
En se répandent en Eurasie ils y rencontrent leurs lointains cousins du genre Homo, les Denisoviens, les Néandertaliens, et d’autres. Ils font quelques gosses avec eux, histoire de leurs piquer quelques gênes intéressants, puis ils leurs font la peau jusqu’au dernier, vraisemblablement.
Un langage de niveau 2 est descriptif du réel sensible et d’un seul concept abstrait : la notion de contraire. Il incline l’esprit tout naturellement vers le manichéisme. On n’arrête pas de dire : « Il ne faut pas être manichéen », pourtant, presque tout le monde l’est, presque tout le temps. D’ailleurs, « Il faut » l’être parfois. De nos jours l’image de la Chambre des Communes britanniques, avec les Conservateurs face aux Travaillistes nous en donne un bon exemple.
Que nous dit la science de cette histoire de binaire ?
Et bien, en physique le magnétisme est binaire, l’électricité aussi.
Les informaticiens nous disent qu’ils peuvent représenter la totalité des mots et des nombres avec un code binaire.
Dans les affaires humaines on est souvent officiellement binaires. Ainsi dans la Justice il y un Avocat de la partie civile et un Avocat de la défense. En politique il a le couple Droite-Gauche.
L’humanité a inventé le couple antithétique pour son bonheur mais aussi pour son malheur. Car quand deux groupes se trouvent en concurrence pour un bien rare ils deviennent ennemis et pratiquent le meurtre intraspécifique, parfois de masse, ce que ne fait aucune autre espèce animale.
Un langage de niveau 3
Par l’usage les langues ont continué à se complexifier et sont arrivées à un niveau 3.
Le langage de niveau 3 dépasse la contradiction binaire de plusieurs façons :
- par l’introduction du neutre, on a vu que c’est le cas des langues anglaises, allemandes et russes. Pour les autres langues, si le neutre n’est pas dans la grammaire son concept n’a aucun mal à s’exprimer autrement. Entre le noir et le blanc il y a le gris.
- Par la dialectique en thèse-antithèse-synthèse
Le langage de niveau 3 cesse d’être obsédé par les contraires même corrigés par le concept de synthèse, il envisage un nombre virtuellement infini de combinaisons.
Il est inutile de décrire les avantages du langage actuel.
Il est bon d’être sensible à quelques ornières naturelles du langage, par exemple :
- le « parce que » nous incline à penser qu’à un effet correspond une cause, alors que les effets sont le plus souvent multifactoriels.
- Le langage nommant ce qui existe, il laisse penser que ce qui est nommé existe.
- Soient deux locuteurs, chacun pense que les mots ont exactement le même sens pour l’autre, erreur, ils ont à peu près le même sens.
- Enfin, le langage est discret, par nature. Par exemple il ne peux rendre le continuum des couleurs, la peinture et les mathématiques peuvent le faire.
- Le vrai, le faux et l’imaginaire jouissent du même statut dans le langage, un même discours peut passer de l’un à l’autre.
Conclusion
Nous nous sommes bien éloignés de l’ »iel ». Revenons y. La considération d’un langage qui donne un statut au neutre et éloigne du manichéisme est en faveur d’un nouveau pronom, pourquoi pas « iel », dans la langue française.
Revenons aussi à ce nouveau phénomène culturel : le genre neutre. Il y a mettons cinquante ans, gare au garçon gentil, pas assez viril, ses petits camarades le lui faisaient payer cher. Aujourd’hui, c’est le contraire, il est chic d’être neutre, au moins chez les jeunes. D’après Jérôme Fourquet, fin connaisseur de l’archipel français, 22 % des 18-30 ans prétendent ne pas se reconnaître dans les genres masculin et féminin. J’ai tendance à penser que la plupart « se donnent un genre » et qu’une petite partie seulement se sent vraiment neutre dans sa tête.
Je termine par un petit compte à régler avec la regrettée Simone de Beauvoir qui disait : « On ne naît pas femme, on le devient ». Mais enfin !, chacune des milliards de cellules de son corps portait la signature XX dans ses chromosomes, (tandis que les hommes sont XY).
Bibliographie : *** « Sapiens » de Yuval Noah Harari
Pau, le 26 Novembre 2021
Jean-François de Lagausie
Biblio : ** « Sapiens » de Yuval Noah Harari
permettez-moi d’ajouter quelques petites remarques personnelles :
en français, c’est, en principe, le masculin qui sert de neutre, par exemple pour désigner les professions : on dit « le médecin » ou » le gendarme » pour désigner une personne qui joue ce rôle dans la société mais que l’on ne connait pas expressément et dont on ne connait pas le sexe, et on emploie le pronom « il » pour parler ensuite de cette personne ; cette règle générale explique que l’on emploie le pronom « ils » pour désigner plusieurs personnes de sexes différents dont on a parlé précédemment, même si les femmes sont ultra-majoritaires dans le groupe ; c’est un abus de langage simplificateur, sans doute destiné à aider la mémoire des jeunes apprentis grammairiens et non dénué de clin d’oeil, qui a fait dire que « le masculin l’emporte sur le féminin », phrase que les féministes « primaires » se plaisent à fustiger en la prenant au premier degré ! mais peut-être faudrait-il rappeler à ces dernières (ces derniers ?) que les mots « personne » et … « victime » sont féminins et appellent donc le pronom « il » quand on veut parler de quelqu’un qui a été préalablement désigné par un de ces vocables, même s’il s’agit d’un homme ! verra-t-on bientôt des masculinistes s’insurger contre cette pratique ? ce serait conforme à la même logique!
A propos de l’existence d’un genre neutre dans de nombreuses langues, je me permets de faire remarquer qu’il ne s’agit pas, loin s’en faut, d’un idéal : en anglais et en allemand (je ne connais pas les autre langues citées), des mots qui devraient être logiquement neutres, parce qu’ils désignent des objets ou des espèces animales par exemples, sont souvent (arbitrairement ?) masculins ou féminins, comme c’est (nécessairement) le cas en français. Quelques exemples en allemand : « Schwalbe » (hirondelle) est féminin, mais » Mond » (lune) est masculin, « Sonne » (soleil) est féminin, « Katze » (chat) est féminin alors qu’un mot particulier, « Kater », désigne un matou ; plus grave : « Weib » (un mot plutôt ancien signifiant « femme ») est neutre, il en est de même de « Weibchen » (ancien pour jeune femme) et de « Mädchen » (jeune file ou petite fille) car ces deux derniers mots sont étymologiquement des diminutifs et qu’une règle générale de la grammaire allemande que les diminutifs sont neutres. On voit que l’existence d’un genre neutre ne simplifie pas vraiment les règles et ne rend pas les usages plus logiques !
je rajoute une idée au paragraphe du langage de niveau 2 où Sapiens invente la notion de CONTRAIRE. Il se rend compte que « »ailleurs » est le contraire de » içi ». »
Il peux, dès lors, PENSER le « ailleurs », et il y va…………….;;
C’est pourquoi il se retrouve jusqu’en Terre de Feu.