De l’autonomie à la dépendance.

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J’ai eu l’occasion d’apprendre, puis de vivre, les transformations du patrimoine naturel, dans une région à la limite des Landes, et des Basses-Pyrénées de l’époque, entre Sault-de-Navailles et Pomarez. J’ai pu, de ce vécu, faire des constats, un bilan, et en tirer de nombreuses réflexions pour finalement me poser la question :

sont-t-elles un bien ou un mal ?

Cette évolution est marquée par deux grandes mutations :

La révolution verte vers 1960 ;

La révolution écologique qui est en train de ce faire.

1°) L’état des lieux, un peu avant 1950 peut se résumer par deux mots :

diversité et harmonie.

Diversité dans :

*Les modes de vie : abondance des métiers, polyculture, polyélevage, viticulture, nature, activités diverses de petites ou moyennes exploitations fermières, souvent par métayage (conflit avec le propriétaire !) suivant le milieu… les terres labourables, chaudes, froides, sont enrichies par l’apport du fumier des vaches de l’exploitant, la présence de vers de terre, de bactéries du recyclage de l’azote…

* Les paysages : les haies les découpent en unité de formes et de grandeurs différentes. Le relief du sud des Landes est caractérisé par des collines entre lesquelles s’étirent de nombreux cours d’eau, parfois des marécages alimentés par les fossés et les sources de pente. Aux plateaux boisés succèdent pâturages, jachères, labours, tourbières de pente…

*La nature du milieu vivant : chaque milieu présente des caractéristiques écologiques différentes qui abritent une faune et une flore très riches adaptées. La pyramide alimentaire et le recyclage sont assurés ; ainsi les équilibres sont contrôlés et les autonomies locales assurées.

Harmonie :

On la trouve au niveau :

* Des paysages: équilibre des surfaces, des lignes, des formes, des couleurs : toitures, murs, forêts, prairies, cultures, des bruits, des odeurs.

La campagne n’était jamais agressive mais reposante.

*Du fonctionnement du vivant : équilibre entre producteurs de matière végétale, consommateurs primaires et secondaires décomposeurs.

*de la sociologie humaine : autonomie des villages, nombreux dispersés, entraide, vivants des ses commerces et activités…

Grâce à cette diversité et cette harmonie, l’homme était intégré à la nature dans un objectif de continuité.

2°) L’amorce de la révolution verte.

1949 : Deuxième congrès international du maïs à Pau : possibilité de cultiver du maïs hybride, familiarisation avec le machinisme, la technologie, l’hyperproduction… par un pèlerinage aux sources : le corn belt américain.

C’est aussi la connaissance des emprunts qu’il faut rembourser !

1957 : L’Inra met au point des variétés françaises adaptées au sol et à notre climat.

La résistance du monde agricole est grande car les emprunts sont de plus en plus élevés pour acheter un matériel de plus en plus important, parfois fragile et cher. Les paysans perdent leur liberté, leur autonomie, par le passage obligé des conseillers de l’agro-alimentaire.

L’appel des sirènes pour un profit supposé a été le plus fort.

Plus de rendement et de gains mais bien  plus de dépenses ; les paysans ne sont pas toujours gagnants car, avec la concurrence étrangère les prix sont souvent décevants.

C’est la période du grand défrichement, de la disparition des touyats, des forêts, des haies, des mares, de la réduction drastique de la polyculture et polyélevage… des bois et des haies qui faisaient rempart au vent donc à la verse du maïs du pays.

C’est l’effondrement du nombre d’exploitations, la fuite vers la ville pour trouver du travail et la formation de plus grosses propriétés travaillées souvent par des entreprises; finis la flûte du crapaud accoucheur, des tritons dans les mares, du cresson dans les fossés, de l’eau qu’on va chercher à la source ; elle est tarie du fait du drainage, finis les canards dans la mare d’à côté, parfois un faisan dans la cour, lâché par les chasseurs pour être tué « sans combat » !!!

C’est la vision et le bruit des tracteurs.

On ne voit plus, en été, de la route assombrie, de chaque côté, qu’un mur impénétrable de 2m50 qui rend claustrophobe !

On cherche le rendement à tout prix en passant :

De la culture extensive à intensive ;

De la poly à la monoculture, des semis de plus en plus serrés ;

Par l’apport de plus en plus d’engrais chimiques ;

Par l’emploi d’herbicides, fongicides, pesticides, bourreaux de la diversité ;

Par le drainage pour les semis et la récolte à cause du matériel lourd, mais par la nécessité, de ce fait, d’arroser entre temps un maïs très gourmand en eau l’été, quand il fait sec !

Par le compactage par du matériel lourd…

Finis la présence de vers de terre, des bactéries du recyclage de l’azote ; les vaches sont remplacées par des tracteurs…

1945 : 28 107 ha sont cultivés en P.A. avec 54 tracteurs ;

1955 : 47 000 ha pour 9 510 tracteurs ;

1965 : 86 000 ha avec 145 70 tracteurs ;

1975 : 111 000 ha et 19 860 tracteurs.

C’est la grande pollution du XXème siècle, la dégradation et la stérilisation des sols.

A la diversité succède la monotonie, la perte de la spécificité, la disparition du «terroir» ; le milieu devient le même partout dans toutes les zones agricoles de France et de Navarre !

Au naturel succède l’artificiel : urbanisation, grandes surfaces qui éliminent les petits commerçants du bourg,  garages, silos, hangars, grosses entreprises de vente et de réparation des énormes machines agricoles.

A l’harmonie succède la dysharmonie : couleurs agressives au niveau des constructions particulières, commerciales, industrielles…

Même au cimetière, la sobriété des monuments funéraires en marbre sombre d’Arudy est remplacée par des constructions polychromes agressives en marbres étrangers.

Ce n’est plus l’homme qui s’intègre à la nature, c’est la nature que l’homme cherche à intégrer à lui-même.

3°) De nos jours, on commence à trouver l’erreur commise ; il s’amorce une troisième époque marquée par l’apparition de la recherche d’un autre mode de vie, d’une autre industrie, d’une autre culture et élevage. On ne laboure plus en profondeur, on cherche d’autres cultures, tournesol, colza.., une sobriété énergétique, une transition écologique. Le bio, la permaculture progressent, l’agro-écologie en somme, la recherche d’un travail qui a du sens, une vie en dehors des grandes métropoles, les circuits courts…

Pour y parvenir ce sera difficile car les lobbies, le goût de certains pour cette vie carnivore, industrielle, hyper consommatrice représentent une force de résistance énorme. Ils seront bientôt obligés de s’y soumettre un jour car l’environnement qu’ils ont créé de leur permettra plus de continuer.

L’agriculture ne sert plus à nourrir mais à produire des devises.

C’est une énorme erreur car «Toutes les idéologies politiques qui ont voulu modifier ont échoué parce que le monde paysan ne peut être géré par des théories ; il est géré par la réalité» Olivier de Kersauson. 

signé Georges Vallet

crédit photo : Attelages bovins d’aujourd’hui – Unblog.frDaniel Hourqueig, à Lys (64)

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3 commentaires

  • Le commentaire avec le tableau Excel me fait penser à une conversation de sortie de messe dans les années 1980-90, sur le bord de la route, près de l’affichoir public, entre hommes.
    A cette époque il y avait encore quelques curés dans les paroisses et des agriculteurs en majorité.
    Ces moments près de l’affichoir étaient aussi des moments de convivialité.

    Un agriculteur pestait sur la paperasserie qu’il devait remplir et qui était la condition à la perception de subventions.
    Un deuxième agriculteur de la même génération, peut-être davantage formé aux évolutions de l’agriculture, répliqua que cela faisait partie du métier.
    Ce débat me semble toujours d’actualité.

    Le deuxième agriculteur vient de prendre sa retraite après une carrière agricole remarquable. Après un début tourné vers le productivisme, il subit la crise du lait de 2009 et prend un tournant bio avec des diversifications aval. Il vient de prendre sa retraite et la ferme a trouvé un successeur. Je qualifierais cette agriculture de raisonnée plutôt que Bio.
    Le premier candidat retenu pour la succession s’est désisté et a préféré l’horizon de la Nouvelle Zélande. Une destination maintenant banale pour les jeunes.
    Les jeunes ont aussi une vision élargie de leur destinée.

    Je pense aussi que la vie rurale était loin d’être idéale. Je pense aux métayers bien sûr, aux ouvriers agricoles.

    Je pense à la pénibilité du travail manuel. La mécanisation a apporté un progrès reconnu par tous, y compris les plus anciens. Actuellement les cabines des tracteurs sont climatisées et pressurisée pour éviter l’entrée de la poussière. Je viens de lire qu’il y avait maintenant des machines agricoles sans chauffeur.

    Je pense au défrichement des touyas. La terre était noire mais elle vite devenue d’un ton argileux.

    Je pense au désherbage manuel avant l’arrivée des pesticides.
    Mais je me souviens aussi d’un agriculteur qui utilisa des pesticides pour la première fois. Un voisin qui habitait en contre-bas de son champ vint lui demander ce qu’il avait semé car c’était une putréfaction.
    Ils se rendirent en bordure du champ et découvrirent des tas de vers de terre en décomposition. Cet agriculteur n’a plus jamais utilisé de pesticides de sa vie.

    Je pense à la cohabitation familiale et à la vision bien étroite de la destinée.
    Depuis deux générations, la vie a quand même changé et je me souviens d’une universitaire ou journaliste qui, dans les années 1970, était venue visiter un quartier d’un village voisin où les relations de voisinages étaient encore très vivantes.
    Elle avait été invitée par une collègue qui habitait le village. A son retour, elle publia un article dans La République qui présentait surtout les vieilles croyances et autres histoires de sorcelleries, quand même disparues.
    En fait elle publia ce qu’elle était venu chercher. C’est certainement un travers que nous avons tous.

  • Vous avez raison de rappeler que  » le monde paysan ne peut être géré par des théories ; il est géré par la réalité »

    Vous avez oublié dans cette réalité de mentionner que l’agriculture comme les hôpitaux est gérée avec des tableaux Excel, où l’homme est considéré comme une machine, remplaçable en un double clic par des robots, GPS, par image satellite, par des fonds d’investissement qui demandent toujours plus sinon c’est la porte, la porte mais jusqu’où ?
    Le suicide chez les agriculteurs, ceux qui nous nourrissent, un suicide tous les deux jours. Un constat accablant que pas un gouvernement n’a pris en compte sauf tout dernièrement. Comment peut-on laisser dans le désarroi des femmes et des hommes qui nous ont toujours nourris ?

    La société du tout clic !…

    La mondialisation, le tout marché libéral, n’a-t-il pas atteint ses limites avec la Covid ?
    Ce monde de dingue qui consomme de l’alimentation produite à 15 000km de nos lieux de consommation, livrés à domicile par drone dans des emballages carton ou polystyrène jetable qui vont encombrer toujours plus nos déchèteries, dont nous ne savons plus où les enfouir. Déchets qui partent dans les immenses déchèteries des déserts comme celles, entre autres, des émirats.

    La société civile au Kenya se révolte, à juste titre, et donne l’exemple (article de France24 du 05 janvier 2022) : Kenya: une pénurie de frites entraîne un appel au boycott de KFC
    https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220105-kenya-une-p%C3%A9nurie-de-frites-entra%C3%AEne-un-appel-au-boycott-de-kfc

  • Quand on constate le nombre de suicides actuels chez les agriculteurs conventionnels, qu’on ne vienne pas me dire que c’était plus dur avant!