Antisémitisme, le déni français

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C’est aujourd’hui le triste anniversaire de la Shoah; on commémore la libération des camps de la mort. Nous sommes, nous, en Béarn, directement concernés par ce drame, puisque la majorité des milliers de juifs enfermés par vagues successives dans le camp de Gurs –situé à quelques kilomètres d’Oloron- ont été victimes de ce massacre de masse. Ils ont été « stockés » de manière indigne dans ce camp dont il ne reste rien de conforme à ce qu’il pouvait-être à cette époque. Un millier d’entre y ont disparu en raison des mauvais traitements de l’administration française : rationnement, manque de soins, absence d’hygiène élémentaire, etc.  Pour les autres, la majorité, cet internement les a conduits à une déportation massive vers les camps de la mort où leur élimination systématique était planifiée.

Cette extermination n’a pas d’équivalent par sa dimension, sa cruauté et sa froide détermination qui reposait sur une organisation « industrielle » de la mort. Des aspects méconnus comme les marches de la mort qui à la fin du Reich ont touché des milliers de vieillards, d’enfants et de pauvres innocents lancés sur les routes après de long mois de travaux forcés, dans un froid glacial, sans boire ni manger finissent enfin par être évoqués comme on a pu le voir récemment sur Arte https://www.arte.tv/fr/videos/095173-000-A/les-marches-de-la-mort/.

En France cette période serait tombée dans l’oubli s’il n’y avait eu quelques hommes de bonne volonté pour la transmettre aux jeunes générations. Que fait-on pour commémorer ce passé ? Enseigne-t-on cette histoire à nos jeunes ? En retire-t-on les leçons morales qui s’imposent dans un monde miné par le racisme, la haine et la violence ?

Ainsi un candidat à la présidence de la République peut affirmer avec un incroyable aplomb que Pétain avait sauvé des juifs, « français » ajoute-il. Mais ne faut-il pas souligner qu’une vie est une vie ; même si la majorité des internés à Gurs étaient étrangers était-ce une raison pour les faire souffrir comme on l’a fait ? Est-ce moral de les avoir conduits à la mort –en toute connaissance de causes- dans des camps affectés aux massacres de masse ?

La grande rafle du Bade Wurtemberg qui a « liquidé » les 6 500 juifs de cette région, envoyés à Gurs dès le mois d’Octobre 1940, résultait d’un accord Franco-Allemand. Dans ce camp entièrement géré par l’administration française, situé en zone libre, il y avait aussi des juifs de nationalité française. La rafle du Vel d’Hiv ou celle de Bordeaux –entre autres- ont concernés des innocents français pour la plupart, établis et intégrés dans ces villes depuis plusieurs générations. Il est juste de rappeler que beaucoup purent s’échapper grâce à la complicité d’une partie de la population et parfois même de policiers.

Le retour de ces fadaises qui veulent laver Pétain de ses crimes, dont les historiens ont fait le lit depuis de nombreuses années, l’adhésion qu’elles provoquent, puisque plus de 12,5%  des électeurs se proposent à voter pour celui qui les porte, sont significatives dela résurgence d’un antisémitisme caché qui ne dit pas son nom mais qui est bel et bien réel.

Nos concitoyens juifs en font l’expérience quotidienne : lors d’un récent sondage auprès d’eux on s’aperçoit que  «  un interrogé sur 4 (20%) affirme avoir déjà été agressé physiquement parce que juif. D’autres, à hauteur de 28%, témoignent d’insultes et de menaces sur les réseaux sociaux. Pour la plupart (60%), ces brimades ont commencé dès le plus jeune âge, à l’école. Dans ce contexte, les sondés sont nombreux à craindre pour la sécurité de leurs enfants. Sur 10 d’entre eux, 6 leur demandent d’éviter certains quartiers. 55% des Français juifs veillent par ailleurs à ce que leurs fils et filles ne portent pas de signes distinctifs et 45% leur demandent même de ne pas dire qu’ils sont juifs ».

Ce sondage Ifop, réalisé pour l’American jewish commitee et la Fondation pour l’innovation politique, « montre qu’une majorité des Français sondés évitent de s’identifier comme juifs, par crainte de représailles ». Dans ce contexte, les sondés sont nombreux à craindre pour la sécurité de leurs enfants. Sur 10 d’entre eux, 6 leur demandent d’éviter certains quartiers. 55% des Français juifs veillent par ailleurs à ce que leurs fils et filles ne portent pas de signes distinctifs et 45% leur demandent même de ne pas dire qu’ils sont juifs ».

«L’antisémitisme, en particulier sur Internet, s’est accentué pendant la pandémie», a précisé la FRA, basée à Vienne. Elle s’est appuyée sur les statistiques officielles et les éléments réunis par les organisations civiles. En Allemagne, le réseau d’associations RIAS a ainsi relevé que, dans les premiers mois de la pandémie, 44% des incidents antisémites enregistrés étaient «associés au coronavirus». 

L’antisémitisme est le signe ultime de la dégradation d’une société, de la crise d’une démocratie. Les jeunes, les plus éduqués en sont parfaitement conscients comme nous le montre un film franco-allemand qui va bientôt sortir « Mémoires de Gurs ». Cet antisémitisme s’appuie sur un secteur minoritaire influencé par la pensée de Charles Mauras et de Léon Daudet. Il a trouvé son porte-parole avec Eric Zemmour qui développe ces vieilles lunes qui n’avaient pas disparu et qui font toujours recette. Il touche aussi –et c’est plus grave- les couches populaires comme les Gilets Jaunes ou les antivaxs qui n’ont pas craint de défiler avec des porteurs de pancartes montrant leur haine envers cette population. Du meurtre sauvage de madame Halimi nous devrions aussi tirer les leçons.

Mais nous marchons dans le déni.

Pierre Michel Vidal

Photo: Le cimetière (rénové) du camp de Gurs.

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Un commentaire

  • Tout doit être fait pour ne pas oublier. La bête immonde existe toujours. Ceux qui s’abstiennent lors des votes quels qu’ils soient sont ceux qui ont décidé d’oublier, de ne pas se prononcer contre ce mal sous-jacent. C’est pourtant une occasion qu’il faut savoir saisir.