Au gré de mes pérégrinations

Les gens de mon âge ont des habitudes dont ils ne parviennent qu’au prix d’un grand effort à se débarrasser. Ainsi chaque matin, par souci d’hygiène, je m’astreins à une marche de plusieurs kilomètres. Me priver de ce moment de solitude qui alimente mes réflexions me serait difficile. Je rencontre toutes sortes de personnes, souriantes, tristes, agressives et même sans aucun relief.

Il y a quelques jours, alors que j’entrais dans un petit parc communal, j’ai vu devant moi, une femme poussant un landau. Elle marchait dans le même sens que le mien et s’apprêtait à s’engager sur une sorte de passerelle. Lorsqu’elle s’aperçut de ma présence elle s’arrêta pour me laisser passer. Sans doute a-t-elle considéré que j’étais pressé. Je ne l’étais pas. Alors je lui ai dit de profiter de sa priorité. Curieusement elle m’a fait savoir qu’elle disposait de temps car elle était en congé maternité. C’est vrai que le bébé qui occupait le landau était bien petit.

Après que je lui dis que mon statut de retraité me donnait le loisir de traîner, elle marcha devant moi. Par politesse et pour marquer l’intérêt que je pouvais lui porter, je lui ai demandé si le bébé était un garçon ou une fille. Un garçon, me répondit-elle et elle ajouté, il se prénomme Léo. Une précision pour mieux personnaliser l’occupant du landau. D’ailleurs je ne m’attendais pas à ce qu’elle me fasse la confidence du prénom qu’elle avait choisi. Peu avare de banalités je lui dis que ce prénom était à la mode et très employé. Puis j’ai regretté d’avoir dit cela parce que cet enfant, son enfant ne pouvait être qu’une exception et ne ressembler à personne.

J’ai continué ma marche en lui souhaitant une bonne journée. Elle répondit sur un ton très appuyé pour me dire la même chose. Sans doute, ne reverrais-je jamais cette jeune femme, mais je garderai le souvenir de son bonheur affiché et de sa fierté de mère.

Pau, le 28 février 2022

par Joël Braud