Souvenirs de Kyïv

En avril 2006, j’ai eu l’occasion de me rendre à Kyïv (Kiev) pour y retrouver un membre de ma famille qui effectuait un stage à l’ambassade de France. Je garde de cette ville un souvenir bien particulier, un dépaysement complet. Une façon de vivre si différente de la notre.
Le première impression nous est restée et nous a laissé le sentiment que nous nous trouvions dans un autre monde. L’avion a atterri à l’aéroport Borispol (ou Boryspil en ukrainien). Il nous a fallu faire viser nos passeports et remplir des documents auxquels nous ne comprenions rien. Nous ne parlions évidemment pas la langue et étions bien incapables de décrypter l’écriture cyrillique. Arrivés au guichet tenu par un homme que nous avons considéré être un policier nous avons remis le document rempli tant bien que mal. Ce dernier en appuyant son doigt sur le papier nous l’a retourné avec mépris. Nous devions donc pour pouvoir passer le poste remplir correctement ce qui était demandé. Il nous fallu un grand moment pour y parvenir. Personne autour de nous ne s’intéressait à notre situation.
Ensuite nous avons voulu prendre un taxi. Il y avait plusieurs chauffeurs stationnés devant la sortie de l’aéroport. Deux d’entre eux se sont disputés jusqu’à presque en arriver aux mains pour obtenir notre clientèle. Le chauffeur du taxi roulait à grande vitesse et le membre de la famille qui se trouvait avec nous, nous a expliqué que chez eux le code de la route consistait à forcer le passage. Le premier qui passait au carrefour avait la priorité. Mais surtout il nous a été impérativement conseillé de ne pas mettre notre ceinture de sécurité, cela aurait pu vexer le chauffeur. Nous nous sommes donc inclinés. Puis à la fin du parcours, notre accompagnatrice rompue aux pratiques de cette profession a marchandé, avec succès le prix demandé.
Notre logement pour les premières nuits était l’appartement d’une certaine Valentina. Elle avait mis à notre disposition, moyennant finances bien évidemment, la totalité de son logement. Un logement d’ailleurs bien modeste et décoré d’un façon chichiteuse. Le membre de notre famille qui l’avait dégoté, nous a expliqué que cette pratique était assez courante car elle consistait pour les gens pauvres, comme Valentina à trouver un moyen d’existence non négligeable. Valentina pendant notre séjour à son domicile avait migré chez des amis.
Nos différentes visites ont été pour partie consacrées aux églises de religion orthodoxe. On peut citer Saint Vladimir, sans doute, la plus belle et plus majestueuse de toutes, puis Sainte Sophie, Saint André et Saint Michel. Nous avons gardé la conviction que les Ukrainiens étaient très religieux. Comme c’était la période de Pâques, nous avons pu assister à des cérémonies dont l’une où officiait le métropolite de Kiev. Une cérémonie impressionnante tant la liturgie était fastueuse. Les fidèles étaient très recueillis ce qui nous a laissé l’impression d’une population très pratiquante.
Nous avons aussi su que, en novembre 2004, deux ans auparavant, avait eu lieu la révolution orange. À la suite de la victoire truquée de Viktor Ianoukovitch à l’élection présidentielle le 21 novembre 2004, une « révolution orange » avait eu lieu pendant un mois en Ukraine, animée par Viktor Iouchtchenko. Ce dernier candidat malheureux, avec son alliée Loulia Tymochenko, avait organisé l’opposition. Vladimir Poutine soutenait et appuyait Ianoukovich. Bien sûr cette révolution orange s’était principalement déroulée place de l’Indépendance à Kyiv ou place Maïdan Nezalejnosti.
Surtout ce qui nous a laissé un souvenir plus marquant que les autres c’est le fait qu’il y avait, selon ce que nous avons pu constater, deux couches sociales bien distinctes. D’un côté des hommes, principalement, qui affichaient ostensiblement leur opulence. On pouvait les comparer aux oligarques qui se déplaçaient dans de grosses voitures aux vitres occultées. Ils étaient accompagnés de filles, genre mannequins, dont le critère de sélection ne se référait pas à la richesse de leur conversation. Ces hommes entourés de gardes du corps se pavanaient dans les quartiers chics de la ville où ils s’affichaient dans des restaurant cotés. A l’autre bout de la chaîne sociale se trouvaient les miséreux. Des hommes âgés fouillaient les poubelles pour y récupérer des bouteilles de verre qui devaient se vendre ; des femmes ou babouchkas qui, pour gagner trois sous, balayaient ou peignaient les trottoirs. Entre ces deux extrêmes, il n’y avait pas de classe moyenne.
Parmi les rencontres que nous avons pu faire, il y a eu un conseiller d’ambassade. Celui-ci a décrit l’Ukraine comme étant un pays dépourvu d’administration, où les gens ne paient pas d’impôt et où le processus de démocratisation est très lent à se mettre en route. Un autre, français, à Kyïv depuis dix ans, nous a avoué en avoir assez des mentalités et des façons de se comporter des Ukrainiens. Selon lui, les Ukrainiens, dans leur majorité, ne veulent pas rejoindre l’Europe mais plutôt la Russie. Il y a en réalité, nous a-t-il dit, deux communautés : l’est industriel et riche qui est pro russe et l’ouest agricole et pauvre qui est pro Europe.
Un autre monde qui actuellement prend un tout autre visage, celui d’un pays martyr, seize ans après notre séjour à Kyïv.
Pau, le 14 mars 2022
par Joël Braud
Photo ; cathédrale Saint Vladimir
J’ai effectué un voyage touristique en juillet 2004 en Ukraine et une croisière sur le Dniepr, je n’ai pas ressenti les mêmes sentiments et les impressions que M. Braud. J’en garde un souvenir très positif sur le pays et ses habitants.
Cette différence tient peut-être à la façon dont s’est déroulé le séjour. De notre côté, nous avons été libres de la totalité de nos mouvements. Nous étions seuls et pas en voyage organisé. C’est à dire que nous faisions nos courses dans les magasins, que nous marchions beaucoup à la découverte de la ville. Dans le groupe que nous avons rejoint et dont les membres effectuaient un stage, il y en avait une qui parlait couramment le russe. Nous avons, grâce à elle, pu échanger de façon improvisée dans des bars et des restaurants. Nous avons eu le souci de nous fondre dans la population autant d’ailleurs que peut le faire un étranger.
En réponse à Georges Vallet.
/ « …une autre approche du problème actuel, la vie libre et idyllique en Ukraine »
« …la vie libre » : certainement avant… l’invasion.
« …idyllique en Ukraine » : ?!?
Même avant l’invasion, pas vraiment dans un pays où corruption, mafia et quelques oligarques qui profitent de cette situation, ont fait et font toujours partie du paysage, alors que dans les campagnes, la réalité est tout autre !!!
Le monde est violent : on est loin dans les ex-pays de feu l’URSS et la Russie (et ailleurs comme… l’Afrique) dans des pays de « Bisounours » ou dans l’ambiance « Disneyland » !!!
Je vous renvoie ci-après, à mon commentaire du dimanche 13 mars à 13h 12min, à la suite de l’article « Ukraine » du 26 février 2022 par Pierre-Michel Vidal :
Introduction du commentaire : « Même si tous les pays européens sont concernés, le sinistre conflit en Ukraine est (fort) susceptible d’entraîner des dérives et présenter encore des opportunités pour quelques mafias de l’Europe de l’Est, dont les activités sont certainement impactées par ce conflit… : la mafia albanophone (Albanie, Kosovo, Macédoine) et d’autres pays comme la Biélorussie, la Bulgarie, l’Estonie, la Géorgie, la Lituanie, la Moldavie, la Pologne, la Roumanie, la Serbie, l’Ukraine (Rappel : pays de l’ex-Union soviétique…) et la Russie… »
URL : https://alternatives-pyrenees.com/2022/02/26/ukraine/#comment-18792
« Tout le monde, il est beau, tout le monde, il est gentil… : pas vraiment, retour à la réalité = à chacun son monde !!!
« la vie libre et idyllique en Ukraine »
Je crois que vous n’avez pas perçu l’humour sinistre qui imprégnait cette phrase
« la vie libre » : certainement avant… l’invasion. »
« nous avons pu constater, deux couches sociales bien distinctes. D’un côté des hommes, principalement, qui affichaient ostensiblement leur opulence. On pouvait les comparer aux oligarques qui se déplaçaient dans de grosses voitures aux vitres occultées. »
« A l’autre bout de la chaîne sociale se trouvaient les miséreux. »Joël Braud
Les miséreux étaient en effet libres d’être miséreux!
Franchement , à la lumière des description de la vie d’avant, en Ukraine, je ne vois pas trop où siège la liberté!
Un no man’s land en proie aux mafieux de l’ Est aujourd’ hui. Tout compte fait peut être que les Occidentaux ont toutes les raisons d’ être prudents face à cette situation. Dommage que ce soit le peuple qui en supporte les conséquences. Il est incontestable que l’ Ukraine fait partie de l’ Europe au même titre que la Russie, mais ne renouvelons pas l’ erreur passée d’ intégrer à l’ Europe d’ anciens pays de l’ Est sous le couvert de belles paroles.
Il nous faudra être très attentifs, surtout quant à la maîtrise des démagogues politiques et des oligarques qui sans quoi ne chercheront qu’ à poursuivre leurs désirs mafieux. Il serait fort regrettable que l’ Europe serve d’ alibi à ces
personnes peu fréquentables.
Particulièrement intéressant car cela apporte un autre son de cloche, une autre approche du problème actuel, la vie libre et idyllique en Ukraine.