Ce terrible sentiment que le monde vous a abandonné
La guerre de l’agresseur russe Poutine contre l’Ukraine peut être mieux comprise par nos voix et nos histoires de vie. C’est la raison pour laquelle je vous raconte mon histoire. Il semble bien que le récit de la guerre ait commencé le 24 février à 5 heures du matin. pour tous les Ukrainiens.

Je suis, savez-vous, originaire d’une petite ville, Balakliya, qui se trouve dans la région de Kharkiv à l’Est de notre pays. J’ai entendu une explosion à 5 heures du matin ce jour-là en 2022. Je sais parfaitement comment résonnent les explosions, puisqu’il y avait eu une détonation à l’Arsenal dans ma ville en 2017 et l’année suivante, et la suivante encore.
J’ai donc pensé que j’avais une hallucination ou quelque chose ce genre. Mais ce n’était pas le cas.
Mon ami, qui vivait alors près de l’arsenal m’a appelé en me criant : « réveille-toi réveille-toi nous sommes bombardés, la guerre a commencé ». J’ai compris que l’enfer était arrivé à nous sous la forme de l’invasion à grande échelle des forces russes. Ce n’était pas une surprise après que Vladimir Poutine ait reconnu les soi-disant Républiques du Donetsk (la DPR) et de Luhansk (la LPR), c’était juste une compréhension de l’inévitabilité.
Et puis il y a eu un silence troublant à Balakliya pendant deux jours. Ma famille a découvert qu’il y avait un abri dans un jardin d’enfants près de chez nous. La première fois, le 26 février, nous l’avons utilisé lorsque notre arsenal a été lourdement bombardé.
Une autre fois, nous y sommes allés parce que maman était paniquée après avoir entendu une nouvelle sirène de raid aérien. Je ne comprenais pas pourquoi nous devions nous précipiter si probablement l’attaque visait plutôt Kharkiv. J’ai compris quand j’ai entendu un sifflement juste au-dessus de moi, puis le bruit d’une explosion et la sensation des fenêtres qui se brisaient juste devant moi. En un jour, les Russes ont occupé Balakliya et, assise dans l’abri, j’ai compris une chose : « Je préfère mourir que vivre sous la domination de la Russie. » Cette pensée m’a accompagnée tout le temps que je suis restée à Balakliya. Et cette pensée est toujours dans ma tête.
Mes parents sont médecins et mon père a dû aller travailler. Alors nous l’avons suivi et nous sommes restés à l’hôpital pendant plus de 3 semaines. Nous pensions que ce serait plus sûr, mais nous avons vite compris que ce n’était pas le cas. En quelques jours, les occupants ont amené un système de roquettes à lancement multiple et différents types d’artillerie sur le territoire de l’hôpital. Nous étions leur bouclier. Nous entendions des chasseurs nous survoler tous les soirs. Des chasseurs, qui lâchaient des bombes sur notre peuple étant donné que le ciel leur était ouvert. Nous avions peur du soir quand l’obscurité arrivait. On n’avait pas le droit d’allumer les lumières car les Russes nous avaient prévenus que si nous le faisions, ils nous tireraient dessus.
Vous savez sans doute que, selon les psychologues, les pics de stress émotionnel arrivent les 5ème, 12ème et 21ème jours après le choc. Nous avons décidé ne ne pas attendre jusqu’au 22ème jour pour quitter Balakliya. Et je suis heureuse que nous nous soyons décidés à nous enfuir dès que possible. Car ma ville est toujours occupée et chaque jour la situation empire. De plus en plus de personnes, y compris un ami de notre famille, sont kidnappées et tuées. Il y a quelques jours, les services secrets russes, le FSB, sont venus à l’hôpital et ont essayé de forcer les médecins à travailler pour eux, pour la Russie. Les docteurs ont refusé et la chasse à l’homme a commencé avec des tirs au fusil. Les gens préféraient mourir qu’obéir aux Russes.
Mais vous ne savez peut-être pas quel a été et quel est encore le sentiment le plus effrayant pendant la guerre ? Le terrible sentiment que le monde vous a abandonné. Depuis mon enfance, ma famille avait essayé de comprendre le monde en voyageant. Nous avons visité des tas d’endroits magnifiques, rencontré des tas de gens merveilleux et d’autres moins merveilleux, et nous nous sommes sentis citoyens du monde. Nous pensions que le monde était uni et que nous étions tous apparentés. Il semble que je me sois trompée.
Pour une personne comme moi qui pensait que le monde était uni et solidaire, ce sentiment est infernal et il me tient éveillée la nuit, même lorsque les sirènes sont silencieuses pendant quelques heures. C’est infernal de voir notre peuple mourir et être torturé alors que les manifestations pro-russes partout en Europe et dans le monde sont accompagnées et sécurisées par la police. C’est infernal de réaliser que les Ukrainiens ne sont pas à l’abri de la fameuse « paix russe », la « mir ruskiy », même à l’étranger.
Et quand on ne peut opposer aucune sanction aux envahisseurs, quand on n’a que l’inquiétude, quand il n’y a pas d’armes, pas de munitions, pas d’actions, même pas un verrouillage du ciel, alors les Ukrainiens se sont rendus compte qu’ils étaient seuls au monde, un monde qui a peut-être espéré nous voir vaincus en 96 heures. Pourtant, nous nous battons non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour le monde et la paix en tant que telle. Et nous sommes toujours reconnaissants pour chaque mot et chaque acte de soutien.
Alors, je supplie le monde de comprendre l’Ukraine de la même manière que nous essayons de la comprendre. Je supplie le monde de s’unir pour aider l’Ukraine. Je vous en supplie : soutenez l’Ukraine, appelez à l’aide de l’Ukraine, soutenez l’Ukraine, criez Gloire à l’Ukraine !
Alyona Falko, 19 ans.
L’Europe est profondément solidaire avec le peuple Ukrainien, et il est émouvant de voir sur les chaines d’info qu’avant tout ce sont les mères et les grand-mères qui mettent à l’abri leurs enfants et petits enfants dans les pays d’accueil à travers toute l’Europe accompagnés de leurs pères qui ensuite repartent en Ukraine pour faire la guerre. C’est très émouvant. Que puis-je faire de mon côté ? Je donne mon sang entre autre, j’ai encore la possibilité de deux dons avant la limite d’âge.
Témoignage très précis et très émouvant. Courage !