Vertige du radicalisme

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Il y a chez les français un vertige « ontologique » du radicalisme ou de l’extrémisme. Il ressemble à ce vertige de l’amour qui s’empare de tout être humain : il y a des moments où la passion l’emporte sur la raison. C’est à ce moment-là que l’on fait des bébés d’ailleurs. Cette emprise de la passion pour ce qui concerne la « res publica » est typiquement nationale et sans doute faut-il la faire remonter à la Révolution où l’on coupa la tête à un roi débonnaire et plutôt réformiste et à sa femme frivole et inoffensive.

Cette attirance pour l’aventure politique est unique en Europe et dans le monde démocratique où les courants les plus radicaux existent certes mais de manière marginale. On a vu lors des récentes élections et notamment lors de ce premier tour des législatives que les courants extrêmes, à droite comme à gauche, sont largement majoritaires parmi les votants.

Cette spécialité française est tempérée par une autre de nos spécialités, plus préoccupante, la montée de l’abstention : plus de 50% dans un scrutin pourtant essentiel avec des enjeux capitaux comme l’âge de la retraite par exemple. Une abstention plus terrible si on considère les tranches d’âge : 69% des jeunes de 18-24 ans et 71% des 25-34 ans n’ont pas voté. Ainsi ceux qui vont faire l’avenir de notre pays se détournent de  nos institutions et de notre société elle-même. Le font-ils par lassitude -ils sont jeunes pourtant- par indifférence ou est-ce une sorte de « non-vote » protestataire ? Est-ce l’occasion de tourner le dos à leurs aînés sans que ce geste ne se concrétise par une adhésion à un projet quelconque de reconstruction nouvelle.

On compare souvent le résultat de ce scrutin et l’incontestable succès de la NUPES -dû pour une bonne part au talent et à l’astuce de son leader- à la campagne des présidentielles 1981 et à la victoire de François Mitterrand. C’est un passé mythique et comme tous les mythes il mérite d’être examiné de près. L’Union de la Gauche et le Programme Commun, n’avaient, en 1981, rien à voir avec l’alliance de circonstance, qu’ont noué au sein de la NUPES, en quelques heures, les formations menacées de disparition.

Le Programme Commun avait fait, lui, l’objet de longues négociations, souvent âpres, durant plusieurs mois, entre le PS, le PC et les Radicaux de gauche. Surtout, le point d’équilibre, la force dominante, de cette alliance était le Parti Socialiste, clairement social-démocrate et réformiste. Si Georges Marchais avait pris le dessus sur François Mitterrand au premier tour des présidentielles de 81, la gauche ne serait jamais arrivée au pouvoir. Les électeurs ne s’y sont pas trompés qui ont mis Mitterrand en tête au premier tour et qui lui ont permis de battre Giscard en un second temps ; marquant ainsi leur volonté de s’engager dans la voie de la réforme plutôt que dans l’impasse révolutionnaire.

C’est en ce sens que la comparaison avec la NUPES est bancale. Car Jean-Luc Mélenchon est sa formation LFI, largement majoritaire dans l’alliance, en représentent le courant le plus radical ; les réformistes –PS et écologistes- menacés de disparition sans cette main tendue en dernière minute, en étant réduits à jouer les utilités pour sauver leur peau. Cette alliance fut pour eux, une sorte de bouée de sauvetage lancée par l’amiral Mélenchon pour sauver leurs meubles. Un soutien payé très cher, par le renoncement de ce qui faisait l’ADN de ces partis : la laïcité par exemple. Et si on prend l’histoire du Mouvement Ouvrier nous vivons la revanche tardive des Jules Guesde sur Jean Jaurés, de la rupture sur la réforme. Une question que l’on croyait tranchée…

Ainsi le moteur de la NUPES, son noyau dur, en est l’élément le plus extrême. On a vu que chez nos voisins espagnols, le parti Podemos, -qui a inspiré Jean-Luc Mélenchon à ses débuts- est arrivé au pouvoir dans un contexte opposé. Le rapport de force étant en faveur du Parti Socialiste Espagnol : ce dernier, par l’intermédiaire de son  habile premier secrétaire Pedro Sanchez, est allé quérir son soutien, en donnant des gages certes mais en gardant la main sur l’essentiel s’appuyant sur sa légitimité électorale qui le plaçait largement en tête -malgré un recul ponctuel. Il a su ainsi transformer un échec relatif –le recul de son parti- par une victoire politique : la mise en route d’un gouvernement progressiste où prévaut le compromis. Dans un pays où le débat politique est souvent houleux cette configuration fonctionne.

La France, et c’est un problème, n’a pas cette culture du compromis -qui est la règle en Allemagne- pourtant nécessaire au fonctionnement de toutes les grandes démocraties dans un contexte international très difficile. Notre pays a pour réputation d’être ingouvernable ; les râleurs y font la loi. Il y a là une forme d’irresponsabilité sociale qui éclaire l’abstention. « Ce que nous voulons ? Tout » disait un mot d’ordre d’un des groupuscules de mai 68. Le vertige du radicalisme, en effet, a sa beauté: le romantisme des « lendemains qui chantent », l’exutoire de la « fonction tribunicienne » et le charisme de son leader.

Tout cela n’est pas nouveau et ces mélopées envoutantes sont irrésistibles parfois. Car le réel est insatisfaisant, frustrant même. Pourtant l’histoire nous le montre, il y a un prix trop lourd à payer pour céder aux délices de Capoue.

Pierre-Michel Vidal

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7 commentaires

  • Michel LACANETTE.

    Cette alliance fut pour eux, une sorte de bouée de sauvetage lancée par l’amiral Mélenchon pour sauver leurs meubles.

    Je ne pense pas que l’ amiral Mélenchon ait voulu lancer une bouée de sauvetage au PS et à EELV. L’ amiral Mélenchon a cherché à créer un homme politique transgénique nouveau, complètement coupé de son passé historique et de l’ histoire politique, afin de l’ amener à penser autrement la politique. En quelque sorte un hologramme humain qui ne pense plus, mais qui n’ est que le porteur de la pensée  » Mélenchonienne » . Cela est un enjeu majeur dans le contexte nouveau de l’ intelligence artificielle, car de plus en plus la virtualité politique touchera directement l’ électorat au plus profond de lui même, jusque dans son canapé, bien plus que non pas les distributeurs de tracts à l’ ancienne sur les marchés. Attention toutefois à ce que cela n’arrive pas à des manipulations d’ opinion, car en la matière il n’ y a aucune législation en matière de virtualité politique et sa tentation pourrait être grande de profiter de cette lacune. Ne soyons pas étonnés que Mélenchon fasse une énorme percée auprès des jeunes électeurs. Sa démarche correspond à la flexibilité qu’ ont les jeunes à manipuler les outils informatiques et à ne pas s’ attacher à une famille politique. Ils ne sont sensibles qu’ aux offres politiques du moment, au même titre qu’ une promotion dans une grande surface.

    • Pierre-Michel Vidal

      Il s’adresse aux jeunes mais il ne les convainc pas puis qu’ils n’ont pas voté selon tous les sondages. Et moins encore les jeunes des milieux populaires.

      • Miche LACANETTE.

        Ils n’ ont peut être pas voté, mais la majorité d’ entre eux sont dans leur philosophie politique bien plus proche du Mélanchonisme que du Macronisme. Il suffit à Mélanchon, ou à son successeur, d’ attendre pour récolter le fruit de la démarche , car un jour ou l’ autre les jeunes devenus moins jeunes iront voter et sûrement pas pour Macron ou pour le Macronisme, s’ il existe encore. Je pense que Mélanchon se place plus dans une démarche idéologique future de sa politique que de sa personne. Alors que Macron fait l’ inverse. Démarches totalement différentes de marquer l’ histoire, maintenant attendons de voir du quel on parlera le plus d’ ici quelques décennies.

        • Pierre-Michel Vidal

          Pour ma part je ne pose pas la question du macronisme -qu’est-ce d’ailleurs ?- mais de la séduction très culturelle du radicalisme. Il est incarné sur un bord par Mélenchon et sur l’autre par Marine Le Pen, on aurait tort de l’oublier. Cette configuration: bloc du centre contesté par deux extrêmes est unique en Europe et problématique. A la culture du compromis se substitue une logique d’affrontement dangereuse. Je ne dis rien d’autre.

  • Et quel est donc, du côté Ensemble ! « le noyau dur, l’élément le plus extrême ? ». Il semble s’appeler Macron.

  • Un peu d’humour pour changer du contenu de votre article :

    Je préfère et de loin, « le vertige de l’amour… » 😉 😉 😉